THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE III

PÈRE UBU


Cornegidouille ! Me voici roi dans ce pays. Je me suis déjà flanqué une indigestion et je vais maintenant commencer à prendre toute la phynance, après quoi je tuerai tout le monde et je m'en irai. En voici deux qui sont déjà morts. Heureusement il y a ici une trappe où je vais les précipiter. Un ! Et deux ! Et d'autres vont les rejoindre tout à l'heure.

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Ubu roi


SCÈNE IV

PÈRE UBU, MÈRE UBU,
puis NOBLES, MAGISTRATS,
PERSONNAGES DIVERS.

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Mère Ubu

PÈRE UBU. - Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et la trique à Nobles ! Ensuite, faites avancer les Nobles.
(0n pousse brutalement les Nobles.)

MÈRE UBU. - De grâce, modère-toi, Père Ubu.

PÈRE UBU. - J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

NOBLES. - Horreur ! à nous, peuple et soldats !

PÈRE UBU. - Amenez le premier Noble et passez-moi la trique à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans le sous-sol où on les massacrera. (Au Noble.) Qui es-tu, bouffre ?

LE NOBLE. - Comte de Vitepsk.

PÈRE UBU. - De combien sont tes revenus ?

LE NOBLE. - Trois millions de rixdales.

PÈRE UBU. - Condamné ! (Coup de bâton.)

MÈRE UBU. - Quelle basse férocité !

PÈRE UBU. - Second Noble, qui es-tu ? - Répondras-tu, bouffre ?

LE NOBLE. - Grand-duc de Posen.

PÈRE UBU. - Excellent ! Excellent ! ]e n'en demande pas plus long. Dans la trappe. (Coup de bâton.) Troisième Noble, qui es-tu ? tu as une sale tête.

LE NOBLE. - Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

PÈRE UBU. - Très bien ! Très bien ! Tu n'as rien autre chose ?

LE NOBLE. - Rien.

PÈRE UBU. - Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ?

LE NOBLE. - Prince de Podolie.

PÈRE UBU. - Quels sont tes revenus ?

LE NOBLE. - Je suis ruiné.

PÈRE UBU. - Pour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. (Coup furieux.) Cinquième Noble, qui es-tu ? tu as une bonne figure.

LE NOBLE. - Margrave de Thorn, palatin de Polock.

PÈRE UBU. - Ça n'est pas lourd. Tu n'as rien autre chose ?

LE NOBLE. - Cela me suffisait.

PÈRE UBU. - Eh bien ! mieux vaut peu que rien. Dans la trappe, mon ami. Qu'as-tu ‘a pigner, Mère Ubu ?

MÈRE UBU. - Tu es trop féroce, Père Ubu.

PÈRE UBU. - Eh ! je m'enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens.

LE GREFFIER. - Comté de Sandomir.

PÈRE UBU. - Commence par les principautés, stupide bougre !

LE GREFFIER. - Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.

PÈRE UBU. - Et puis après ?

LE GREFFIER. - C'est tout.

PÈRE UBU. - Comment, c'est tout ! Oh bien alors, passons aux magistrats maintenant, c'est moi qui vais faire les lois.

PLUSIEURS. - On va voir ça.

PÈRE UBU. - Je vais d'abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.
 

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Magistrat

 


PLUSIEURS MAGISTRATS. - Nous nous opposons à tout changement.

PÈRE UBU. - Merdre. D'abord les magistrats ne seront plus payés.

MAGISTRATS. - Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.

PÈRE UBU. - Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.

UN MAGISTRAT. - Horreur.

DEUXIÈME. - Infamie.

TROISIÈME. - Scandale.

QUATRIÈME. - Indignité.

TOUS. - Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.

PÈRE UBU. - À la trappe les magistrats ! (Ils se débattent en vain.)

MÈRE UBU. - Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?

PÈRE UBU. - Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.

MÈRE UBU. - Oui, ce sera du propre.

PÈRE UBU. - Allons, tais-toi, bouffresque. Nous allons maintenant, messieurs, procéder aux finances.

FINANCIERS. - Il n'y a rien à changer.

PÈRE UBU. - Comment ! Je veux tout changer, moi. D'abord je veux garder pour moi la moitié des impôts.

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FINANCIERS. - Pas gêné.

PÈRE UBU. - Messieurs, nous établirons un impôt de dix pour cent sur la propriété, un autre sur le commerce et l'industrie, et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les célibataires et un cinquième sur les décès, de quinze francs chacun.

PREMIER FINANCIER. - Mais c'est idiot, Père Ubu.

DEUXIÈME FINANCIER. - C'est absurde.

PREMIER FINANCIER. - Ça n'a ni queue ni tête.

PÈRE UBU. - Vous vous ?chez de moi ! Qu'on m'apporte une casserole : je vais inventer en votre honneur la sauce financière.

MÈRE UBU. - Mais enfin, Père Ubu, quel Roi tu fais, tu massacres tout le monde.

PÈRE UBU. - Eh merdre ! Dans la trappe ! Amenez tout ce qui reste de personnages considérables ! (Dé?lé d'actualités et texte ad libitum.) Toi qui ressembles étrangement à un célèbre piqueur de l'Élysée, dans la trappe ! Et vous préfet de notre police, avec tous les égards qui vous sont dus, dans la trappe ! Dans la trappe ce ministre anglais, et pour ne pas faire de jaloux amenez aussi un ministre français, n'importe lequel ; et toi, notable antisémite, dans la trappe ; et toi le juif sémite et toi l'ecclésiastique et toi l'apothicaire, dans la trappe, et toi le censeur et toi l'avarié, dans la trappe ! Tiens, voici un chansonnier qui s'est trompé de porte, on t'a assez vu, dans la trappe ! Oh ! Oh ! celui-ci ne fait pas de chansons, il fait des articles de journal, mais ce n'en est pas moins toujours la même chanson, dans la trappe ! Allez, passez tout le monde dans la trappe, dans la trappe, dans la trappe ! Dépêchez-vous, dans la trappe, dans la trappe !


Rideau. - Fin du Premier Acte.

 

ACTE II


(À droite, un moulin à fenêtre praticable, à gauche, rochers, au fond on découvre la mer.)


SCÈNE PREMIÈRE

L'Armée Polonaise entre, précédée
du général LASCY.


CHANSON DE ROUTE.
Air : Marche des Polonais, Cl. Terrasse.
Ma tunique a deux, trois, quat' boutons,
Cinq boutons !
Six, sept, huit boutons,
Neuf boutons !
Dix, onz', douz' boutons,
Treiz' boutons !

Ma tunique a quatorz', quinz' boutons,
Seiz' boutons !
Dix-huit, vingt boutons,
Vingt boutons !
Vingt-et-un boutons,
Trent' boutons !

Ma tunique a trent', quarant' boutons,
...rant' boutons !
Quarant'-cinq boutons,
Cinq boutons !
Soixant'-dix boutons,
Dix boutons !
Ma tunique a cinquant' mill' boutons,
Mill' boutons...

LE GÉNÉRAL LASCY. - Division, halte ! À gauche, front ! À droite... alignement  ! Fixe ! Repos. Soldats, je suis content de vous. N'oubliez pas que vous êtes militaires, et que les militaires font les meilleurs soldats. Pour marcher dans le sentier de l'honneur et de la victoire, vous portez d'abord le poids du corps sur la jambe droite, et partez vivement du pied gauche... Garde à vous ! Pour dé?ler : par le ?anc droit... droite ! Division, en avant ! guide à droite, marche ! Une, deux, une, deux...
(Les Soldats, avec Lascy sur le ?anc,sortent, en criant :)

LES SOLDATS. - Vive la Pologne ! Vive le Père Ubu !

PÈRE UBU, entrant, avec casque et cuirasse. - Ah ! Mère Ubu, me voici armé de ma cuirasse et de mon petit bout de bois. Je suis prêt à partir en guerre contre le czar, mais je vais être bientôt tellement chargé que je ne saurais marcher si j'étais poursuivi.

MÈRE UBU. - Fi, le lâche.


PÈRE UBU. - Àh ! toute cette ferraille m'embarrasse. Je n'en ?nirai jamais, et les Russes avancent et vont me tuer.


MÈRE UBU. - Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée.


PÈRE UBU. - Ah ! maintenant je vais monter à cheval. Amenez, messieurs, le
cheval à phynances.


MÈRE UBU. - Père Ubu, ton cheval ne saurait plus te porter, il n'a rien mangé depuis cinq jours et est presque mort.


PÈRE UBU. - Elle est bonne celle-là ! On me fait payer onze sous par jour pour cette rosse et elle ne me peut porter. Vous vous ?chez, corne d'Ubu, ou bien si vous me volez ? Alors, que l'on m'apporte une autre bête, mais je n'irai pas à pied, cornegidouille !


LE PALUTIN GIRON, ?guré par un nègre, amène un énorme cheval.

PÈRE UBU. - Merci, ?dèle Palotin Giron. (Il caresse le cheval.) Ho, ho... Je vais monter dessus. Oh ! je vais tomber. (Le cheval part.) Ah ! Arrêtez ma bête. Grand Dieu, je vais tomber et être mort ! ! ! (Il disparaît dans la coulisse.)


MÈRE UBU. - Il est vraiment imbécile. (Elle rit.) Ah ! le voilà relevé, mais il est tombé par terre.


 

 
 



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