THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

PÈRE UBU, rentrant à cheval. - Cornegidauille, je suis à moitié mort ! Mais c'est égal, je pars en guerre et je tuerai tout le monde. Gare à qui ne marchera pas droit. Ji lon mets dans ma poche avec torsion du nez et des dents et extraction de la langue.


MÈRE UBU. - Bonne chance, monsieur Ubu.


PÈRE UBU. - J'oubliais de te dire que je te con?e la régence. Mais j'ai sur moi le livre des phynances, tant pis pour toi si tu me voles. Je te laisse pour t'aider le ?dèle Giron. Adieu, Mère Ubu. Sois sage, prends garde à ta vertu.


MÈRE UBU. - Adieu, Père Ubu. Tue bien le czar.


PÈRE UBU. - Pour sûr. Torsion du nez et des dents, extraction de la langue enfoncement du petit bout de bois dans les oreilles.

(Il s'éloigne au bruit des fanfares.)



SCÈNE II

MÈRE UBU, LE PALOTIN GIRON.


MÈRE UBU. - Maintenant, que ce gros pantin est parti, courons nous emparer de tous les trésors de la Pologne. Ici, Giron, viens m'aider.

 

LE PALOTIN GIR0N. - À quoi, maîtresse ?


MÈRE UBU. - À tout ! Mon cher époux veut que tu le remplaces en tout pendant qu'il est ‘a la guerre. Ainsi ce soir…


LE PALOTIN GIR0N. - Oh ! Maîtresse !


MÈRE UBU. - Ne rougis pas, mon chéri : d'abord, sur ta ?gure ça ne se voit pas ! Et en attendant donne-moi un coup de main pour déménager les trésors.


(Très vite, parlé en déménageant.)


MÈRE UBU.

D'abord à mes yeux étonnés

S'offre un pot, un pot... polonais !


LE PALOTIN GIR0N.

Un' descent' de lit en peau d' renne,

D' la rein' qu' est mort', la pauvre reine !

 

MÈRE UBU.

La ressemblance, trait pour trait,

D' monsieur mon époux adoré.


LE PALOTIN GIRON.

Des ?ol's qui soûlèr'nt la Pologne,

Au bon vieux temps d'August' l'Ivrogne.


MÈRE UBU, portant un clysopompe.

Le narghilé qu'on fabriqua,

Pour la rein' Mari' Leczinska.


LE PALOTIN GIRON.

Les documents, dans une malle.

De la défens' nationale.


MÈRE UBU, portant un petit balai.

Et le plumeau qui a servi

À mettre l'ordre à Varsovi'.


MÈRE UBU Aie ! J'entends du bruit ! Le Père Ubu qui revient ! Déjà ! sauvons-nous !

(Ils s'enfuient en laissant tomber les trésors.)


SCÈNE III


L'Armée traverse la scène, puis le Père Ubu entre traînant une longue bride.


PÈRE UBU. - Cornebleu , jambedieu, tête de vache ! nous allons périr : ha ! Nous mourons de soif et sommes fatigué, car, par crainte de démolir notre monture, nous avons fait tout le chemin à pied, traînant (apparaît seulement alors le cheval.) notre cheval par la bride. Mais quand nous serons de retour en Pologne, nous imaginerons, au moyen de notre science en pataphysique et aidé des lumières de nos conseillers, un automobile pour traîner notre cheval et une voiture à vent pour transporter toute l'armée. Mais voilà Nicolas Rensky qui se précipite. Eh ! Qu'a-t-il, ce garçon ?


RENSKY. - Tout est perdu, Sire, les Polonais sont révoltés, Giron a disparu et la mère Ubu est en fuite emportant tous les trésors et les ?nances de l'État.


PÈRE UBU. - Déjà ! ! ! -- Oiseau de nuit, bête de malheur, hibou à guêtres ! Où as-tu péché ces sornettes ? En voilà d'une autre ! Et qui a fait ça ? Les Cosaques, je parie. D'où viens-tu ?


RENSKY. - De Varsovie, noble seigneur.


PÈRE UBU. - Garçon de ma merdre, si je t'en croyais je ferais rebrousser chemin
à toute l'armée. Mais, seigneur garçon, il y a sur tes épaules plus de plumes que de cervelle et tu as rêvé des sottises. Va aux avant-postes, mon garçon, les Russes ne sont pas loin et nous aurons bientôt à estocader de nos armes.


LE GÉNÉRAL LASCY. - Père Ubu, ne voyez-vous pas dans la plaine les Russes ?


PÈRE UBU. - C'est vrai, les Russes ! Me voilà joli. Si encore il y avait moyen de s'en aller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte à tous les coups.


L'ARMÉE. - Les Russes ! L'ennemi !


PÈRE UBU. - Allons, messieurs, prenons nos dispositions pour la bataille. Nous allons rester sur la colline et ne commettrons point la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterez autour de moi. J'ai à vous recommander de mettre dans les fusils autant de balles qu'ils en pourront tenir, car huit balles peuvent tuer huit Russes et c'est autant que je n'aurai pas sur le dos. Nous mettrons les fantassins à pied au bas de la colline pour recevoir les Russes et les tuer un peu, les cavaliers derrière pour se jeter dans la confusion, et notre artillerie autour du moulin à vent ici présent pour tirer dans le tas. Quant à nous, nous nous tiendrons dans le moulin à vent et tirerons avec notre pistolet à phynances par la fenêtre, en travers de la porte nous placerons le bâton, et si quelqu'un essaye d'entrer, gare à lui !


L'ARMÉE. - Vos ordres, Sire Ubu, seront exécutés.


PÈRE UBU. - Eh ! cela va bien, nous serons vainqueurs. Quelle heure est-il ?

(On entend : Coucou trois fois.)


Le GÉNÉRAL LASCY. - Onze heures du matin.


PÈRE UBU. - Alors nous allons dîner, car les Russes n'attaqueront pas avant midi. Dites aux soldats, seigneur général, de faire leurs besoins et d'entonner la chanson polonaise.


LASCY. - Attention ! À droite et à gauche, formez le cercle. Deux pas en arrière, rompez ! (L'Armée sort, grande ritournelle, le père Ubu commence à chanter, l'Armée rentre pour le ?n du premier couplet.)


Chanson Polonaise


PÈRE UBU.

Quand je déguste

Faut qu'on soit soûl,

Disait Auguste

Dans un gouglou !

CHŒUR. - Glou glou glou, glou glou glou.


PÈRE UBU.

La soif nous traque

Et nous ?apit ;

Buvons d'attaque

Et sans répit.

CHŒUR. - Pi pi pi, pi pi pi !


PÈRE UBU.

Par ma moustache !

Nul ne s' moqua

Du blanc panache

De mon tchapska.

CHŒUR. - Ka ka ka, ka ka ka.


PÈRE UBU.

On a bonn' trogne

Quand on a bu :

Viv' la Pologne

Et l' Père Ubu !

CHŒUR. - Bu bu bu, bu bu bu !


PÈRE UBU. - 0 les braves gens, je les adore ! Et maintenant, à table !


LES SODLATS. - Attaquons !

 

PÈRE UBU. - Dites à monsieur notre intendant militaire de nous apporter les vivres mis en réserve pour toute l'armée.


LASCY. - Mais, Père Ubu, il n'y a pas de vivres, il n'y a rien à manger.


PÈRE UBU. - Comment, sagouin ! Il n'y a rien à manger? À quoi pense alors notre intendance militaire ?


LASCY. - Vous ne vous rappelez plus que vous l'avez précipitée dans la trappe !


PÈRE UBU. - Ah ! je respire. Je savais bien que cette excellente administration ne
pouvait se tromper. Personne n'ignore qu'elle aime à gaver le troupier de troupions, pardon ! croupions de dinde, poulets rôtis, pâtés de chiens, choux-?eurs à la merdre
et autres volailles. En?n, je vais aller chercher moi-même s'il reste quelque chose pour garnir notre panse. (Il sort.)


LASCY. - Qu'avez-vous trouvé de bon à manger, Père Ubu ?


PÈRE UBU ; rentrant avec le balai. - Je n'ai trouvé que ceci : goûtez un peu.


LASCY ET L'ARMÉE. - Pouah ! Pouah ! Pouah ! Je suis mort ! Misérable père Ubu, traître et gueux voyou ! (Ils sortent dans des convulsions. La canonnade commence dans le lointain.)


PÈRE UBU, seul. - Mais, j'ai faim, moi. Que vais-je mettre dans ma gidouille ? (1er boulet dans le ventre.)


LASCY, rentrant. - Sire Ubu, les Russent attaquent.


PÈRE UBU. - Eh bien après ? Que veux-tu que j'y fasse ? ce n'est pas moi qui le
leur ai dit. Cependant, messieurs des Finances, préparons-nous au combat. (2ème boulet, le Père Ubu est renversé, le boulet lui rebondit à plusieurs reprises décroissantes sur la gidouille.)


LASCY. - Un second boulet, je ne reste pas là. (Il fuit.)


PÈRE UBU. - Ah ! je n'y tiens plus. Ici il pleut du plomb et du fer. Hé ! sires soldats russes, faites attention, ne tirez pas par ici, il y a du monde.


VOIX AU DEHORS. - Hourra, place au Czar ! (Les Russes traversent.)


PÈRE UBU. - En avant, je m'en vais attaquer avec ce petit bout de bois l'empereur moscovite !

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Le Czar

LE CZAR, paraissant. - Choknosof, catastrophe, merdazof !


PÈRE UBU. - Tiens, toi ! (Le Czar lui arrache son bâton et riposte.) Oh mais tout de même ! ah, monsieur, pardon, laissez-moi tranquille ! oh, mais, je n'ai pas fait exprès ! Aïe ! je suis mort, je suis roué ! (Il se sauve, le Czar le poursuit.)


LASCY, traversant. - Cette fois, c'est la débandade.


PÈRE UBU. - Ah, voici l'occasion de se tirer des pieds. Or donc, messieurs les Polonais, en avant ! ou plutôt non, en arrière !


POLONAIS, traversant. - Sauve qui peut, sauve qui peut ! (Ils s'enfuient, poursuivis par les Russes.)



SCÈNE IV


La scène reste vide, puis l'OURS passe.

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PÈRE UBU, rentrant. - N'y a plus personne ? Quels gens, quelle fuite ! où me cacher, grand Dieu ? Ah, dans cette maison, j'y serai sans doute à l'abri.


LASCY, sortant du moulin. - Qui vive ?


 

 
 



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