(Jiscui et Malkiscuah causent ensemble à leur tour.)
JISCUI. - Jonathan nous avait promis de venir nous rejoindre. Il aime mieux demeurer dans le palais du roi que de risquer sa vie ici.
MALKISCUAH. - Mon frère, souffrirons-nous, après cet abandon, qu'il devienne un jour notre maître et succède au roi mon père ?
JISCUI. - J'ai déjà suffisamment indisposé les soldats contre lui ; et, quand il viendra, l'accueil qu'on lui prépare dans le camp abaissera un peu son orgueil.
(Jonathan arrive suivi d'un jeune homme qui porte ses armes. Il pénètre d'abord dans la tente d'Abner.)
ABNER. - Ah ! je vous vois enfin ; mon neveu, quelles nouvelles apportez-vous de la cour ?
JONATHAN. - Tout y est tristesse et malheur comme dans ce camp mais si le Seigneur daigne protéger mon dessein je viens vous offrir les moyens de sauver Israël.
ABNER. - Parlez, mon neveu ; j'ai autant de confiance en votre prudence qu'en votre courage.
JONATHAN. - En approchant de ce lieu, j'ai vu sur la hauteur briller les feux des ennemis. Si l'armée descend vers nous, nous sommes perdus. Je viens donc vous demander de me confier quelques troupes pour les débusquer de cette position ; un heureux coup de main rendrait la confiance à l'armée.
ABNER. - Ce que vous demandez est impossible, Jonathan mon pouvoir est trop ébranlé pour que je puisse trouver ainsi des hommes prêts à courir vers un péril certain. Adressez-vous à la bonne volonté des soldats ; ce que vous ferez, je l'approuverai.
JONATHAN. (Il entre dans la tente de ses frères et les embrasse tour à tour.) Princes,. je compte sur vous pour me seconder en un grand dessein ; commandez vos serviteurs les plus vaillants, et venez avec moi vers les hauteurs de Mie-Mas pour déloger l'ennemi. Répondrez vous à mes vœux, Jiscui ?
JISCUI. - Jonathan, si vous êtes las de vivre, il n'en est pas encore ainsi de moi, et je compte attendre le retour de mon père dans le camp avant de rien entreprendre. Ce que Saül ordonnera, alors je le ferai.
JONATHAN. - Et vous, Malkiscuah, ne serez-vous pas tenté de vous introduire dans le camp Philistin pour y. jeter le désordre ? Comptant sur notre faiblesse, l'ennemi se livre en paix à des réjouissances. Quelques braves auraient bientôt anéanti ces hommes ivres.
MALKISCUAH. - Il convient aux têtes folles d'entreprendre des folies. Allez donc vous couvrir de gloire, si tel est votre plaisir ; mais, ainsi que le prince Jiscui, le repos est de mon goût en cet instant
JONATHAN. - Fils de Saül, vous ne savez pas que le Seigneur lui-même menace le roi votre père.
MALKISCUAH. - Alors, que pouvons-nous contre ses arrêts ?
JONATHAN. - Notre dévouement fléchirait peut-être sa colère.
JISCUI. - C'est dans votre intérêt que vous parlez ; la couronne doit vous revenir défendez-la donc de votre mieux.
(Le jeune homme qui porte les armes de Jonathan le suit hors de la tente il s'approche du prince.)
LE JEUNE HOMME. - Si vous avez besoin d'un bras résolu, d'un cœur dévoué, prince, vous pouvez disposer de moi.
JONATHAN. - Que le Seigneur te bénisse, serviteur fidèle. Viens, ne tentons plus ces cœurs lâches, et exécutons à nous deux ce qu'une armée refuse d'entreprendre.
(Ils s'éloignent.)
(Des fanfares annoncent l'arrivée de Saül.)
SCÈNE DEUXIÈME.
Les Précédents, LA REINE, MICAL, DAVID.
(Abner, les princes Jiscui et Malkiscuah sortent de leur tente.)
ABNER. - Le roi arrive enfin parmi nous.
JISCUI. - Allons à sa rencontre.
LA REINE, entrant. - Général, faites cesser ce bruit. Le roi vient de s'endormir dans sa litière. Il est malade. Souffrez qu'au lieu de recevoir les honneurs dus à son rang, il prenne d'abord quelque repos dans votre tente.
(On apporte Saül endormi ; les princesses et la reine entrent avec lui sous la tente d'Abner.)
JISCUI, à son frère. - Si le roi demande Jonathan, nous aurons soin de l'instruire de sa conduite téméraire.
MICAL revient. - Mes frères pourriez-vous m'apprendre ce qu'est devenu Jonathan ? Le roi s'est fâché contre lui hier ; il nous a quittés immédiatement, et nous sommes ma mère et moi, dans une mortelle inquiétude à son sujet.
MALKISCUAH. - Vous dites que Saül lui en veut déjà. En ce cas, l'action que va faire Jonathan n'est pas de nature à apaiser la juste colère de votre père.
MICAL. - De grâce, si vous savez quelque chose qui puisse nuire à Jonathan, n'allez pas le dire au roi. Tenez, mes frères, au lieu de vous déclarer les ennemis d'un prince aussi loyal, aidez-moi plutôt dans mes recherches pour trouver un habile musicien, afin de distraire Saül de ses douleurs. Croyez bien que cette découverte vous servira plus auprès de votre père que ne pourraient le faire vos accusations contre Jonathan.
(On entend les sons d'une harpe. Mical et les princes écoutent quelques instants.)
MICAL. - Quels accords délicieux ! Jiscui, empressez-vous de m'amener cet envoyé céleste ; il vient rendre la vie à Saül.
(Jiscui s'en va.)
MALKISCUAH. - Je n'ai jamais rien ouï de pareil. Je veux attacher cet homme à mon service.
MICAL. - Comment pouvez-vous en concevoir la pensée, lorsque je vous dis que le roi a besoin du secours de son art ? Ah, je ne le vois que trop, malgré mes prières et les sacrifices que je fais sans cesse offrir, le pontife a dit vrai : le Seigneur s'est retiré de la famille de Saül.
MALKISCUAH, - Orgueilleuse, vous savez bien que vous et Jonathan avez été exceptés par Samuel des malheurs qu'il prédit faussement à notre race. Le grand prêtre ne prétend il pas que vous serez reine d'Israël ?
MICAL. - Un tel honneur ne saurait m'être réservé ; d’ailleurs, je préfère de beaucoup la gloire de mon père à la mienne.
JISCUI rentre avec David. - Voilà ma sœur, le chétif musicien que vous désirez voir. Vous aurez soin de dire au roi que c'est moi qui l'ai amené.
DAVID. (Il est vêtu en berger.) - Prince, je suis venu ici de ma propre volonté, ou plutôt par obéissance envers le pontife Samuel qui m'a envoyé vers le roi malade.
MICAL. - Quel est votre nom ?
DAVID. - Je suis le septième fils d'Isaïe de Bethléem, et je m'appelle David.
MICAL. - Eh bien, David, venez avec moi sous la tente du roi, et si vous parvenez à guérir son mal en jouant de la harpe, vous pourrez demander telle faveur qu'il vous plaira, on ne vous refusera rien.
DAVID. - Le seul plaisir de vous obéir me paiera au delà de tous mes souhaits.
(Ils entrent tous dans la tente.)
(Entracte pendant lequel la harpe, se fait entendre.)
SCÈNE TROISIÈME.
SAÜL, DAVID, MICAL , MÉHAB.
(Saül sort de la tente d'Abner il est encore abattu mais il se sent déjà soulagé d'une partie de son mal . La reine, les princesses et les princes entourent le roi. David marche respectueusement à sa suite.)
SAÜL, montrant David. - Cet homme est plus habile que tous les médecins. du royaume je ne veux plus qu'il me quitte, et n'ai nulle crainte de souffrir désormais. Les sons qu'il tire de sa harpe me rendent un calme bienfaisant David, vous prendrez, dès cet instant, le premier rang dans ma cour.
DAVID. - Je n'ai point mérité tant de faveur, et je demande au roi d'attendre que le sort m'ait offert quelque occasion de me distinguer avant de se montrer aussi magnifique envers moi.
LA PRINCESSE MICAL à sa sœur. - Voyez combien il est modeste !
MÉRAB. - Vous vous enthousiasmez un peu vite pour un berger ma sœur. Pour moi, je lui reconnais du talent ; mais son extérieur annonce un homme né pour les arts et fort incapable à la guerre
SAÜL. - Je sens mes forces revenir, et dès demain je me mettrai à la tête de l'armée pour attaquer les Philistins. Mais avant cela et afin de nous rendre le Seigneur propice, j'ordonne à toute l'armée, sans exception de rang, d'âge, ni de grade, de rester, d'un soleil à l'autre, sans prendre de nourriture. Qu'on fasse savoir cette volonté dans le camp en annonçant que celui qui l'enfreindra sera mis à mort fut-il mon fils.
(Les princes s'inclinent et sortent pour obéir aux ordres de leur père.)
(La toile se baisse encore une fois.)
ACTE TROISIÈME.
SCÈNE PREMIÈRE.
La scène représente une forêt.
JONATHAN, un Jeune Homme, un Soldat.
(Jonathan et son serviteur arrivent.)