THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

JONATHAN. - Quelles heureuses nouvelles nous allons porter au Roi. Les Philistins sont en déroute et tournent leur fureur contre eux-mêmes, ne sachant où trouver l'ennemi. Combien ils seront surpris, quand ils apprendront que deux hommes seuls ont fait tout ce ravage


LE JEUNE HOMME. - Laissez-moi vous devancer au camp pour engager le Roi à faire marcher aussitôt ses troupes.


JONATHAN. - Tu n'auras pas besoin d'aller bien loin, car j'aperçois d'ici de grands nuages de poussière ; je vois briller les armures et les armes des enfants d'Israël. Va donc vers mon père et apprends-lui ce qui est arrivé, afin que je rentre en grâce auprès de lui. (Le jeune homme sort.) La fatigue commence à saisir mes membres. Je me sens bien altéré, et j'éprouve un grand besoin de manger ; il est impossible de trouver quelque nourriture ici ; mais voyons si la forêt ne cache pas une source. (Il cherche de divers côtés et s'arrête devant un arbre mutilé.) Oh ! bonheur voici du miel, je vais en prendre un peu.


(Il y goûte à plusieurs reprises ; pendant ce temps des soldats de l'armée israélite arrivent sur le théâtre.)


UN SOLDAT. - Quel est celui qui ose désobéir à Saül ? arrêtons-le, et qu'il soit conduit au Roi.


JONATHAN. - Soldats, n'approchez pas de moi ; je suis le prince Jonathan.


LE SOLDAT. - Alors, malheur sur vous et sur nous tous, votre perte sera la ruine d'Israël.

JONATHAN. - Je ne vous comprends pas ; mais au lieu de me plaindre réjouissez-vous plutôt avec moi. Les Philistins sont en déroute. Hier vous me refusiez tous de venir les attaquer mon s,erviteur et moi, nous avons seuls accompli mon projet avec un plein succès.


LE SOLDAT. - Si cela est, il ne doit pas tomber un seul cheveu de ta tête.


JONATHAN. - Le Roi mon père, a-t-il résolu ma mort ?


LE SOLDAT. - Non ; mais hier un jeûne absolu a été prescrit à toute l'armée, sous peine de mort.


JONATHAN. - Je n'étais pas au camp lorsque l'ordre en est parvenu. Mon père m'excusera auprès de mon oncle.


LE SOLDAT. - C'est le Roi lui-même qui s'est engagé par serment à punir de mort le coupable, fût-il son propre fils.


JONATHAN. - Que le Seigneur daigne me prendre sous sa sauvegarde !


LE SOLDAT. - On va camper dans cette forêt, et Saül dirige aujourd'hui les troupes.



SCÈNE DEUXIÈME.

LES MÊMES, JISCUI, MALKISCUAH.



JISCUI. - Ah ! vous voilà, Jonathan, à votre air contristé il est facile de voir que votre courage s'est démenti en route.


JONATHAN. - Non mon frère, et ma tentative a pleinement réussi.


MALKISCUAH. - Quoi ! les Philistins auraient reculé devant vous


JONATHAN. - Oui.


MALKISCUAH. - Pour ma part, grâce au jeûne prescrit par le Roi, je ne serais guère capable, en ce moment, de tenir tête à l'ennemi ; et vous, mon frère, je suppose qu'après vos exploits ; vous devez aussi être cruellement tourmenté par la faim.


JONATHAN. - Dans l'ignorance où j'étais de la volonté du Roi, j'ai goûté à un rayon de miel.


JISCUI. ! Ah ! mon frère, qu'avez-vous fait ?


JONATHAN. - Je suis résigné à subir mon sort.


MALKISCUAH. - Pauvre Jonathan !



SCÈNE TROISIÈME.

Les Précédents SAUL DAVID, LA REINE,

LES PRINCESSES, des Officiers.



SAÜL. - Mon fils Jonathan je viens d'apprendre ce que nous vous -devons tous, et mon cœur se réjouit d'avoir un fils tel que vous.


JONATHAN. - C'est déjà trop pour moi, mon père, que vous oubliiez votre colère d'hier.


SAÜL. - Mon cœur est plein de tendresse pour vous, et voici votre mère et vos sœurs qui ne se lassent point de répéter vos louanges. Il a plu au Seigneur de m'accabler de dons en ce jour, malgré les prophéties de Samuel, et je dois vous présenter, mon fils, ce nouveau serviteur (il désigne David) dont le talent sur la harpe endort mes douleurs, et rend toujours à propos le calme à mes esprits.


JONATHAN. - Souvent le Seigneur frappe ses plus rudes alors que l'homme se réjouit.


SAÜL. - Prince, ce langage me blesse ; ne recommencez pas à vous faire l'interprète de Samuel.


JONATHAN. - Mon père un grand malheur vous attend.


JISCUI, bas à Malkiscuah. - Il a résolu de se perdre lui-même


SAÜL. - Parlez donc malheureux, rappelez le glaive dans mon sein. Venez troubler denouveau ma raison qui commençait à se raffermir. Je sens déjà mes membres qui frémissent. Je vais retomber sous l'obsession du malin esprit.


LA REINE. - Mon fils, quel est donc votre dessein ?


JONATHAN. - Ah ! puissé-je exciter vos ressentiments jusqu'à vous rendre moins cruel le coup qu'il me reste à frapper !


SAUL. - Mon fils je vous ordonne de parler sans détour.


JONATHAN. - Grand roi, un Israélite a rompu le jeûne.


SAÜL. - Sa vie me répondra de sa désobéissance. Cet homme, quel est-il ?


JONATHAN. - Moi !


LA REINE ET LES PRINCESSES. (Elles viennent se jeter aux pieds de Saül.) Grâce ! grâce, pour votre fils. pour notre frère !


SAÜL. - Les serments faits au Seigneur sont irrévocables. Jonathan doit mourir.


LA REINE, se tournant vers les officier. - Braves Israélites, vous ne souffrirez pas que cet acte barbare s'accomplisse ; je remets la vie du prince sous votre sauvegarde, et si le sang humain doit plaire au Seigneur, je m'offre pour victime à la place de mon fils.


JONATHAN. - Ma mère, n'apprenez pas à vos sujets à méconnaître l'autorité du roi.


LA REINE. - Eh ! que m'importe ce sceptre et sa puissance mensongère. Ne sommes nous pas chaque jour en péril de voir le peuple se révolter contre nous ? Et Saül serait maître absolu, seulement alors qu'il s'agirait de frapper de mort un de ses fils. Soldats, voici l'instant d'opposer la force aux volontés d'un père insensé. Répondez à ma voix, parlez, laisserez-vous mon fils périr ?


(Les officiers s'avancent entourent Jonathan et l'un d'eux porte la parole.)


L'OFFICIER. - Jonathan a sauvé Israël, nous ne lais- serons pas tomber un cheveu de dessus sa tête.


LA REINE. - Saül, vous l'entendez ; voulez-vous maintenant lutter contre l'opposition de l'armée ?


SAÜL. - Vous sauvez Jonathan mais vous nous perdez tous.


JONATHAN. - Mon père, qu'il soit fait selon votre jugement.


SAÜL. - Malheureux prince, pourquoi m'avez-vous désobéi ?


JONATHAN. - J'étais loin du camp, lorsque vous avez annoncé le jeûne. Aucun avis ne m'en est parvenu, tandis qu'avec mon seul homme d'armes, je mettais les Philistins en déroute. Accablé de fatigue, et saisi par une soif brûlante, je revenais vers vous avec l'espoir d'avoir mérité votre suffrage. En passant dans la forêt, j'ai découvert un rayon de miel dans le creux d'un arbre ; à peine en avais-je goûté, que des soldats sont survenus et m'ont appris mon crime involontaire.


LES OFFICIERS. - Il n'est pas coupable ; le prince ne mourra pas.


MICAL. - Mon père, dites comme eux ?


SAÜL. - Je renonce à le punir.


LA REINE. - Que le Seigneur vous comble de bénédictions.



ACTE QUATRIÈME.

 

David est dans un champ au milieu de ses brebis. Sa harpe est près de lui.



SCÈNE PREMIÈRE.

DAVID seul.



DAVID. - Maintenant que le roi n'a plus besoin de moi, je reprends avec joie mon service de pasteur. Les honneurs de la cour me tentent peu, et hors l'affection du prince Jonathan et celle de la princesse Mica, je ne regrette pas ma faveur passagère dans la famille de Saül. En me prédisant une haute fortune, le pontife Samuel s'était étrangement trompé. Les desseins de Dieu sur moi se bornaient à m'envoyer au secours du père de Jonathan.



 
 



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