JONATHAN. - Je vous cherchais partout, fils d'Isaïe, car votre départ m'a plongé dans le chagrin. Hélas ! moi aussi, je dois quitter mon père. Saül ne sait plus reconnaître entre les siens quels sont les serviteurs fidèles ; il vient de me nommer à un gouvernement éloigné, comme si les Philistins étaient à jamais vaincus.
DAVID. - Est-il bien vrai que le Roi se sépare volontairement' de son plus brave défenseur ?
JONATHAN. - Mes frères m'ont desservi dans l'esprit de mon père. Ce qui m'afflige le plus en lui, c'est de penser qu'un péril inattendu peut surprendre le Roi, et que je ne serai pas là pour l'en garantir.
DAVID. - Prince, vous pouvez du moins compter sur mon zèle.
JONATHAN. - Votre bonne volonté est sans bornes, et si mon père retombait malade, je sais que vous iriez encore charmer son mal en jouant de la harpe auprès de lui. Mais ce n'est pas seulement l'esprit malin que je redoute pour Saül. Les Philistins peuvent fondre à l'improviste sur l'armée, et alors où serait l'homme capable de conduire nos soldats à la victoire ?
DAVID. - Je ne craindrais pas de me mesurer contre dix Philistins.
JONATHAN. - La jeunesse trahirait en vous la bonne volonté.
DAVID. - Prince, ne me méprisez pas pour la petitesse de ma taille ; car, sous ces frêles dehors, le Seigneur m'a doué d'une grande vigueur, depuis le jour où Samuel a versé l'huile sainte sur mon front.
JONATHAN. - Samuel aurait désigné en vous le successeur de mon père ?
DAVID. - Que cet aveu ne vous porte point à la colère contre moi, prince, jusqu'à ce qu'il plaise au Seigneur d'opérer, par sa seule volonté, un si grand miracle, vous et les vôtres n'aurez pas de plus fidèle serviteur que moi.
JONATHAN. - Ah ! je reconnais trop que vous dites vrai, David, et si un jour vous portez la couronne, je réclame l'honneur de marcher immédiatement après vous.
DAVID. - Jurons-nous une éternelle alliance devant le Seigneur.
JONATHAN. - Je m'engage solennellement, en sa présence, à vous aimer en frère jusqu'au jour où je vous servirai avec le respect dû à un maître. Avant de partir je ferai remettre chez vous mon manteau, mon épée, un arc, ce baudrier, que je vous prie de garder en mémoire de moi.
DAVID. - Mes présents, à moi, seront les dépouilles de deux ennemis que je peux vous montrer étendus morts à quelques pas d'ici.
(Ils s'avancent vers un fossé.)
JONATHAN. - Un lion ! et un ours ! quelle main les a terrassés ?
DAVID. - La mienne. Je paissais tranquillement les troupeaux de mon père. Ces deux animaux arrivèrent et voulurent emporter une brebis ; je courus après eux, j'arrachai la brebis de leur gueule, et les prenant tous deux par la mâchoire je les frappai si rudement l'un contre l'autre que je les tuai.
JONATHAN. - Si vous prenez les armes contre les Philistins, la victoire ne sera plus douteuse. Adieu, mon frère, je vous recommande la personne de Saül.
DAVID. - Je le défendrai comme si c'était vous- même.
(Jonathan s'en va.)
SCÈNE TROISIÈME.
M!CAL, suivie d'une de ses femmes, DAVID,
Un Héraut d'armes.
MICAL à sa suivante. - C'est à peine si j'ose marcher en sécurité par ici ; j'ai toujours peur des ennemis, ou des bêtes féroces, et personne ne se présenterait pour nous protéger.
(Elle passe.)
DAVID, à part. - La princesse ne se souvient déjà plus de moi. Je vais lui faire entendre ma harpe, afin qu'elle sache que son fidèle serviteur n'est pas loin.
(Il joue un air mélancolique.)
MICAL, revenant. - David est ici ! Quoi ! ce serait lui qui garde les moutons ? La faveur de mon père est-elle de si courte durée ? (Elle s'approche du berger.) Fils d'Isaïe, pourquoi avez-vous quitté la cour de Saül ?
DAVID. - Mes frères commençaient à murmurer contre mon élévation subite, et pour rendre la paix au vieil Isaïe, je suis revenu prendre l'emploi pour lequel j'ai été élevé.
MICAL. - Jonathan n'a-t-il pas cherché à vous retenir ?
DAVID. - Ce prince aussi a quitté la cour, et j'ai, tout à l'heure, reçu ses adieux ici. Ainsi que les miens, les frères du prince Jonathan sont toujours prêts à le persécuter.
MICAL.- Temps déplorables ! Je suis partie seulement depuis deux jours pour venir consulter Samuel à Bethléem, et déjà tous ces changements sont accomplis. (Un Héraut d'armes traverse la plaine.) Oh ! sans doute, je vois encore un messager de malheur dans cet homme ; David, veuillez l'appeler vers moi.
DAVID, allant au devant du Héraut. - Êtes-vous en course pour ordonner une nouvelle levée d'armes dans les tribus ? La désolation est répandue partout.
MICAL. - Qu'est-il arrivé ?
LE HÉRAUT. - Un géant appelé Goliath, est venu du camp des Philistins il ravage les terres des Israélites, enlève les hommes, les femmes et les enfants, sans qu'il soit possible d'arrêter son bras. Saül tremble sur son trône ; il a promis d'immenses récompenses et la main de sa fille aînée, la princesse Mérab, à celui qui lui rapportera la tête du géant.
DAVID. - Si j'étais prince, au lieu d'être un simple berger, je me battrais avec joie contre le géant ; mais il faudrait que le Roi me laissât le choix de l'une de ses filles.
MICAL. - Ma sœur est recherchée en mariage par Hadriel, prince méholathite.
LE HÉRAUT. - Quand le roi a dit que le vainqueur du géant appelé Goliath épouserait sa fille, il n'a excepté aucun rang de la concurrence.
DAVID. - Eh bien je marcherai au combat avec désintéressement et pour le seul honneur du peuple d'Israël car ma présomption est loin de s'élever aussi haut que sur la fille d'un roi.
MICAL. - Si le Seigneur est propice à mes vœux, vous triompherez et le roi trouvera bien une de ses filles disposée à répondre pour sa promesse.
DAVID. - Héraut, dis-moi où je dois trouver Goliath pour le combattre.
LE HERAUT. - Il est dans le camp de Mie-Mas.
MICAL. - Je retourne auprès de Saül pour lui annoncer que j'ai trouvé un généreux. défenseur.
La toile se baisse.
ACTE. CINQUIÈME.
SCÈNE PREMIÈRE.
La toile se lève ; on revoit le palais de Saül.
SAÜL, LA REINE, MÉRAB, MICAL.
SAÜL. - Ma fille cet homme ignore sans doute quelle est la force de l'ennemi qu'il s'est engagé à combattre. La taille de Goliath est de six coudées et une palme de haut ; il est armé d'une cuirasse à écailles, et cette cuirasse pèse cinq mille sicles d'airain. Des cuissards d'airain couvrent ses cuisses, et il porte aussi un bouclier d'airain entre ses épaules. La hampe de sa hallebarde ressemble à l'ensuble d'un tisserand, et le fer qui la surmonte pèse six cents sicles de fer. Nous le voyons sans cesse sortir des rangs de l'armée et s'avancer couvert de son bouclier qu'un homme porte devant lui ; Alors, il s'écrie insolemment « Qu'il vienne donc un Israélite se mesurer avec moi ; je consens à livrer le combat pour les Philistins si j'ai l'avantage, vous nous se-rez assujettis et nous servirez ; mais si vous trouvez un homme capable de me vaincre, les Philistins, au contraire, deviendront les esclaves des Israélites. » Accepter ce défi, me paraît téméraire ; et, toutefois, si nous entrons en bataille, Goliath, à lui seul, peut détruire mon armée.
MICAL. - Celui qui a pu vaincre à la fois un lion et un ours, sans autre secours que la force de son bras, ne tremblera pas devant Goliath.
SAÜL. - Et ce guerrier, quel est-il enfin ?
MICAL. - Un berger.
SAÜL. - Je vous demande son nom.
MICAL. - Il m'est impossible de le dire.
MERAB. - Mon père, n'allez pas promettre ma main à un gardien de troupeaux.
LA REINE. - Faites taire votre orgueil, ma fille, car le péril est tel que vous courez le risque de devenir l'esclave de la femme d'un soldat philistin.
SAÜL. - Quand verrons-nous, ma fille ; le sauveur que vous nous promettez ?
MICAL. - Je lui ai fait dire de se rendre au camp vous l'y trouverez si vous consentez à ce que le combat ait lieu demain matin.
La toile se baisse.