THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

AVENANT, qui est rentré en scène. - Je puis dire que sans moi c'en était fait de ce pauvre corbeau.

LE CORBEAU, revenant et se perchant sur un arbre. - Généreux Avenant, vous n'avez pas dédaigné de me secourir, moi, qui ne suis qu'un obscur corbeau ; mais je ne serai pas ingrat, je vous le jure, et croyez bien que, tôt ou tard, je vous le revaudrai. (Il s'envole).

ARLEQUIN. - Ce corbeau-là parle comme un avocat. Il a l'air d'un commissaire avec sa robe noire ; il ne lui manque que le rabat. (Regardant dans la coulisse). Oh ! là là ! qu'est-ce que je vois entre les arbres ? Regardez par ici, mon cher maître. Ne voyez-vous pas de ce côté un gros oiseau qui se débat... Il a des yeux ronds comme des boules de loto et qui reluisent comme des chandelles romaines... Hé ! mais c’est un hibou qui s’est laissé prendre dans un filet.

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AVENANT. - Quel est donc le plaisir que trouvent les hommes à tourmenter ainsi de pauvres animaux qui ne leur font aucun mal ! Attends-moi : Je vais bientôt lui avoir rendu sa liberté. (Il sort).

ARLEQUIN. - Mon cher maître, prenez bien garde. Ce monsieur Hibou-là n'a pas la physionomie avantageuse : il a une mine renfrognée.

AVENANT, rentrant. - Quand on rend service, il ne faut considérer ni la tournure, ni la figure de celui qu'on veut obliger.

LE HIBOU, paraissant sur le tronc d'un vieil arbre. - Avenant, il est inutile que je vous fasse une longue harangue pour vous exprimer toute l'obligation que je vous ai ; elle parle assez d'elle-même. Les chasseurs allaient venir, sans vous j'étais mort ; mais j'ai le cœur reconnaissant et je vous le revaudrai. (Il disparaît).

ARLEQUIN. - Hé bien, il gagne à être vu de près. Il est joli comme un petit amour... Sa figure me plaît infiniment... depuis qu'il a parlé.

AVENANT. - Tu le vois, Arlequin, il ne faut pas toujours juger d'après les premières apparences. Mais le jour s'avance. Il est temps d'aller retrouver ma suite qui pourrait bien s'inquiéter d'une plus longue absence. Puis, nous nous mettrons sur-le-champ en route pour le palais de la Belle aux cheveux d'or, qu'on ne doit pas tarder à apercevoir.

     (Ils sortent).

 

ACTE  II

 

SCÈNE  PREMIÈRE.

 

Le théâtre représente un riche salon du palais de la Belle aux cheveux d'or.


Azélia

 

Azélia - Zéphyrine
 


Zéphyrine

 

ZÉPHYRINE. - Oui, belle princesse, le nouvel ambassadeur Avenant est bien nommé ; car il est beau comme l'amour.

AZÉLIA. - Mais, Zéphyrine, comment savez-vous cela ?

ZÉPHYRINE. - C'est que la curiosité nous a toutes fait monter sur la terrasse du palais, quand l'ambassadeur du roi Potestas et sa suite sont entrés dans la grande avenue.

AZÉLIA. - Hé quoi, vous avez quitté vos occupations, pour voir passer cet étranger ? Savez-vous bien qu'un tel empressement est blâmable de que vous en devriez rougir. Pour moi, je le recevrai, parce que je dois le recevoir ; mais je ne pense pas que ce nouveau négociateur soit plus heureux que tous ceux qui l'ont précédé. La renommée, j'en conviens, publie les louanges du roi Potestas ; mais je ne me sens aucune inclination à compromettre ma liberté. Qu'ai-je à désirer ? Je règne, je suis indépendante... et un mari, quel qu’aimable qu'il soit, est toujours un mari, c’est-à-dire un maître.

     Air : Lorsque c'est la fidélité.

     En vain l'hymen avec des fleurs
     Couvre les nœuds du mariage :
     Peut-il adoucir les rigueurs
     Q
u'offre un éternel esclavage ?
     Être soumise à son époux
     C’est un devoir ou c’est faiblesse !...
     Et je trouve beaucoup plus doux
     De rester toujours la maîtresse.

 

ZÉPHYRINE. - Ah ! madame, s'il m'était permis de vous répondre...

AZÉLIA. - Que pourrais-tu me dire ? Parle ; je te permets de m'expliquer ta façon de penser sur ce sujet.


ZÉPHYRINE. - Librement ?

AZÉLIA. - Oui... en toute sécurité.

ZÉPHYRINE. - Hé bien, voici ce que je répondrais à Votre Majesté :

       Air : De Céline.

     Vivre dans un autre soi-même
     Au sein d'une douce amitié ;
     M
ettre avec celui que l'on aime
     Tous ses sentiments de moitié.
     Entre deux ne former qu'une âme,
     Qu'un esprit, qu'une volonté...
     Près d'un époux, voilà, Madame,
     Le bonheur en réalité.


AZÉLIA. - Tu me fais là un tableau qui pourrait me séduire, si je n'avais précisément le mariage en aversion.

ZÉPHYRINE. - Ah ! Princesse, c’est que personne n'a encore eu le bonheur de vous plaire ; et bien certainement vous n'auriez pas refusé par avance le roi Potestas, s'il avait su vous intéresser. S'il faut pourtant en croire tout le bien qu'on publie de sa personne...

AZÉLIA. - Je voudrais savoir ce qu'il peut attendre de cette seconde ambassade, quand déjà j'ai congédié la première avec un refus formel.


ZÉPHYRINE. - Il aura pensé qu'Avenant, plus adroit que son prédécesseur, trouverait moyen d'obtenir votre consentement... et cela pourrait bien advenir ainsi.

AZÉLIA. - Oh ! j'en doute fort.


ZÉPHYRINE. - Vous ne pouvez cependant pas toujours rester fille ; vos peuples ont le plus vif désir de vous voir faire le choix d'un époux, et sans doute que si vous refusez un monarque aimable, ce n’est pas pour accorder votre main au géant Galifron qui vous obsède de ses instances et qui, pour se venger de vos refus, dépeuple vos états en croquant tous vos sujets, et finira par vous dévorer vous-même, si vous n'avez là personne pour vous défendre contre lui.

AZÉLIA. - Oh ! il y a un terme à tout, et peut-être, à la fin, se trouvera-t-il à ma cour quelque chevalier vaillant, plus dévoué et plus heureux que les autres, qui saura combattre et vaincre cet odieux géant.

ZÉPHYRINE. - Jusqu’ici, tous ceux qui l'ont tenté ont été ses victimes, et je crains bien que sa rage ne le pousse à quelque acte de violence qui vous oblige à le prendre pour mari.


AZÉLIA. - Plutôt mille fois la mort !

ZÉPHYRINE. - En ce cas, accueillez donc l'hommage du roi Potestas qui, pour la seconde fois, vous fait offrir son cœur et ses richesses.


AZÉLIA. - J'y réfléchirai... Mais j'entends du bruit ; c’est sans doute l'ambassadeur Avenant qui se rend dans mon palais pour l'audience que je lui ai accordée. Montons sur mon trône pour le recevoir.

ZÉPHYRINE. - Puisse-t-il réussir à toucher le cœur de la Belle aux cheveux d'or, et obtenir un succès qui, en assurant votre bonheur, comblera les vœux de tous vos sujets !
 

(La Belle aux cheveux d'or se place sur son trône ; Zéphyrine est assise auprès d'elle sur un pliant).

 

SCÈNE  II.

 

Azélia, Zéphyrine, Avenant, Arlequin portant une riche corbeille, gardes, suite.

 

CHŒUR.

     Air : Des Poletais

     Succès, honneur, victoire,
     Au bel ambassadeur !
     Lui seul aura la gloire
     De subjuguer son cœur.

      Reprise.

AVENANT. - Grande Reine, souffrez que je mette à vos pieds l'hommage du Roi mon maître. Il vous offre par ma voix son cœur et sa couronne, et n'a pas de plus ardent désir que de vous voir les accepter l'une et l'autre.

AZÉLIA. - Gentil Avenant, je suis certainement flattée des sentiments que vous m'exprimez au nom de votre prince ; et s'il dépendait de moi de faire un choix, je puis vous assurer que je me déciderais en sa faveur.


AVENANT. - Belle Princesse, vous me désespérez ! J'avais cru qu'en vous faisant connaître tout l'amour que vous avez inspiré à mon Souverain, j'aurais le bonheur de vous ramener avec moi, ou du moins, de remporter votre consentement... Mais je vois combien était grande mon erreur ! Le roi Potestas croira que je l'ai trompé... et ma perte est inévitable.

AZÉLIA. - Votre prédécesseur n'a pas péri, et pourtant il avait échoué comme vous.


AVENANT. - Rien de plus vrai, Princesse ; mais ma position est bien différente : je me suis fait fort de réussir auprès de vous, et le roi ne manquera pas de châtier une présomption aussi téméraire.

 

 

 
 



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