THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

AZÉLIA. - Vous avez, en effet, pris là un engagement bien irréfléchi... Cependant, si vous ne vous rebutez pas des obstacles et que vous soyez homme à lutter contre eux de courage et d'adresse, hé bien... je ne dis pas... je ne dis pas que vous deviez renoncer à tout espoir.


AVENANT. - Ah ! Madame, expliquez-vous ; il n’est rien que je ne sois prêt à tenter pour vous prouver mon dévouement et mon obéissance.

AZÉLIA, descendant du trône. - Sachez d'abord qu'il y a un mois environ, me promenant sur le bord de la rivière, j'y laissai tomber une bague à laquelle je tenais plus qu'à tout mon royaume. Quelque peine qu'on se soit donnée, il me fut impossible de la retrouver... Dès lors, je me suis jurée, dans mon chagrin, de ne jamais écouter une proposition de mariage, que l'ambassadeur qui me la transmettrait, ne m'eût rapporté ma bague.

AVENANT. - Ce que vous me dites, Reine, équivaut presque à un refus. Comment puis-je espérer retrouver une bague perdue depuis si longtemps et de cette façon ? N'importe, je risquerai tout pour y parvenir et...

AZÉLIA. - J'ai aussi un autre désir à satisfaire. Il y a dans le voisinage une grotte profonde, dont l'entrée est gardée par deux dragons qui vomissent feu et flammes. C’est là qu’est la source de l'Eau de beauté, et je veux absolument avoir de cette eau une bonne provision, avant de quitter mon royaume.


AVENANT. - Oh ! vous êtes si belle, que cette eau vous est bien inutile... et pourtant je braverai encore cette épreuve.

AZÉLIA. - Oh ! ce n’est pas tout encore.


ARLEQUIN, à part. - Et de trois ! quand nous serons à dix, nous ferons une croix.

AZÉLIA. - Il y a ici près un vilain géant, nommé Galifron, qui s'est mis en tête de m'épouser : vous pensez bien que je l'ai refusé. Depuis ce temps, pour se venger de mes dédains, il tue tous mes sujets. Avant de rien conclure, j'exige que vous vous battiez avec lui et que vous m'apportiez sa tête.

AVENANT. - Je vois, madame, que vous voulez ma mort. Vous serez obéie, je combattrai Galifron.

ARLEQUIN, à part. - Pauvre maître ! Avec la certitude de n'en pas revenir.
 

AZÉLIA. - Voilà à quelles conditions est attaché le don de ma main ; mais je suis la première à vous conseiller de ne pas essayer de les remplir. Je serais fâchée qu'il vous arrivât malheur à cause de moi.


AVENANT. -

Air : Du baiser imposteur

     De mon roi j'ai la confiance,
     Et la tromper serait un tort ;
     S
a justice et sa bienveillance
     Ont toujours veillé sur mon sort.
     Pour me donner de l'énergie,
     Je n'ai qu'à consulter mon cœur ;
     Et, s'il le faut, aux dépens de ma vie,
     Je dois assurer son bonheur ;
     Aux dépens de ma propre vie
     Je dois assurer son bonheur.


     Oui, Princesse, dussé-je trouver la mort en vous servant, je veux que le roi Potestas sache qu'il a eu raison de compter sur le dévouement de son ambassadeur.

AZÉLIA. - Allez donc, aimable Avenant, suivez votre destinée ; les Dieux, sans doute, vous seront favorables.

(La reine et sa suite sortent).

 

SCÈNE  III.

 

Avenant, Arlequin.

 

ARLEQUIN. - Hé bien, mon cher maître, voilà une fâcheuse aventure !

AVENANT. - Devais-je prévoir de semblables difficultés ?

ARLEQUIN. - J'espère que nous allons repartir et que vous ne vous prêterez en rien aux vilaines fantaisies de cette belle mijaurée.

AVENANT, sévèrement. - Silence, Arlequin !... Loin de partir, je vais me mettre en mesure de satisfaire aux exigences de la Belle aux cheveux d'or. Tu vas songer à m'accompagner à la Fontaine de beauté.

ARLEQUIN, tremblant. - Oh ! là , là ..., où ça ?... Mais vous avez donc oublié qu'elle est gardée par des dragons qui n'ont peut-être pas dîné depuis huit jours ? Rien que d'y penser, j'en ai la chair de poule.

(Avenant va pour sortir, Arlequin s'arrête).

  Hé quoi, mon cher maître, vous persistez dans vos projets ?

AVENANT. - Allons, viens, te dis-je, obéis-moi.

     (La décoration change et représente l'intérieur d'une grotte sauvage. A gauche est une espèce d'excavation entourée de joncs, de plantes rampantes ; c'est là qu'est la source de l'Eau de beauté).

 

SCÈNE  IV.

 

Arlequin, entrant seul avec précaution.

 

ARLEQUIN. - Oh ! Là ! Là ! que c’est noir par ici. Faut-il que mon maître ait le diable au corps pour s’obstiner à venir puiser de l'Eau de beauté pour cette belle si exigeante !... Il m'a forcé de le précéder dans cette caverne ; j'ai dû lui obéir, mais je meurs de peur et je suis sûr que je dois être tout pâle... Avec ça que je suis à jeun... Je n'ai rien pris depuis la dernière fois que j'ai mangé... et je commence à sentir que la faim me tourmente... Aussi, quelle manie a donc cette princesse de vouloir se débarbouiller plutôt avec cette eau-là qu'avec une autre ? (Il croit entendre du bruit). Qui va là ? Chantons un peu ; ça m'ôtera de la tête ce je ne sais quoi qui me trotte dans l'imagination. (Il chante à tue-tête).

AVENANT, dans la coulisse. - Arlequin !

ARLEQUIN. - Hé, mon Dieu, qu'est-ce qui m'appelle ?

AVENANT. - C’est moi... où es-tu ?

ARLEQUIN. - Par ici, notre maître ; par ici.

 

SCÈNE  V.

 

Avenant, Arlequin.

 

AVENANT. - Tu chantais tout-à-l'heure ; est-ce que tu avais peur ?

ARLEQUIN. - Non, seigneur.

AVENANT. - Tu chantais pourtant ?

ARLEQUIN. - Vous savez que c’est ma coutume quand je suis seul.

AVENANT. - Mais ne perdons pas de temps pour entrer dans la grotte. Éclaire-moi.


ARLEQUIN. - Comment ! vous allez entrer dans ce vilain trou-là ? Mais c’est noir comme l'âme d'un corbeau.

AVENANT. - Allons, trêve à tes sottes réflexions. Éclaire-moi.


     (Avenant s'approche de la grotte escorté d'Arlequin qui l'éclaire. Chaque fois qu'il fait un pas en avant, des flammes sortent du trou. Arlequin tombe sur le derrière).

UNE VOIX. - Avenant ! Avenant !

AVENANT. - Quelle voix m'appelle ?

LA VOIX. - Regarde de ce côté. Avenant, je n'ai pas oublié ce que tu as fait pour moi. Approche sans crainte et passe-moi cette bouteille autour du cou ; puis, attends avec confiance et ne t'embarrasse pas du reste.

     (Avenant passe dans la coulisse où il est censé attacher la bouteille au cou du hibou qu'on voit, un instant après, s'élancer dans le puits d'où sortent des flammes).

ARLEQUIN. - En voici bien d'une autre ! Un hibou qui parle comme ferait un académicien.

AVENANT. - C’est mon hibou de ce matin, qui se montre reconnaissant du service que je lui ai rendu.

LE HIBOU, reparaissant à l'orifice. - Tiens, Avenant, ta fiole est remplie jusqu’au goulot de cette Eau de beauté que désire la Belle aux cheveux d'or : porte-la lui. Tu vois bien que je n'oublie pas le bien que l'on m'a fait.

     (Avenant a détaché la fiole du cou de l’oiseau qui s'envole).

AVENANT. - Maintenant, au géant Galifron !

ARLEQUIN. - Il ne manquait plus que cela.

     Air : Avec adresse il faut

     Je me sens tout tremblant...
     Grands Dieux ! quelle triste ambassade !

     Faut-il absolument
     Vous fair' mettre en capilotade ?


AVENANT. - Va ! tu n'es qu'un poltron.

ARLEQUIN. -
     Monsieur, vous êtes bien bon !
     Mais écoutez la raison :
     Revenez à la maison.
     C
omme un vrai marron,
     Au risque d'en être malade,
     L'affreux Galifron
     Va vous croquer... quell' régalade !
     Reprise,
     Faut-il absolument, etc.


AVENANT. -
     Va, ton raisonnement
     Me semble on ne peut plus maussade,
     I
l part, assurément,
     D'un cerveau quelque peu malade.

 

ACTE  III

 

Le théâtre représente une campagne sauvage.

 

SCÈNE PREMIÈRE.

 

Arlequin, une broche à la main,

 

ARLEQUIN. - Je cours comme un fou... je vais, je viens, sans savoir ce que je fais. Mon pauvre maître n'a pas fermé l’œil de la nuit, et ce matin, il est sorti sans me réveiller. Je suis désespéré... car il sera allé combattre Galifron, ainsi qu'il me l'avait dit. Il aura pensé que je lui serais inutile... Hé bien, non... Il ne s’exposera pas seul aux coups de cet affreux géant. J'irai, s'il le faut, le combattre en perforante, et, à cet effet, je me suis déjà muni d'une arme. Ah ! Mais ! Ah ! Mais !!!

AIR : Du Brasseur de Preston.

     Je veux déployer mon courage
     Et combattre ici vaillamment ;
     Je saurai bien braver sa rage,
     En m'y prenant adroitement.
     Je serai ferme comme un roc ;
     Je suis courageux comme un coq...
     Avec une broche, d'un seul bloc,
     Je soutiendrai fort bien le choc,
     De taille et d'estoc ,
     Mais au moindre danger ad hoc,
     Mon cœur fera tic-toc...
     Je veux déployer mon courage..., etc.

(Après le chant , il fait beaucoup de rodomontades).

 
 



Créer un site
Créer un site