THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

     Il n'a qu'à bien se tenir... Je lui en ferai voir de sévères. Cric, crac, pif, paf, pouf... Ah ! il ne viendra pas aisément à bout de moi. Je sauterai et je cabriolerai si bien, qu'il ne sera plus possible de m'attraper. Il semble que j'y suis déjà ! Pif, paf, pouf, zig, zag. (Il se démène comme un furieux et, à l'entrée d'Avenant, il tombe assis).

 

SCÈNE II.

 

Arlequin, Avenant.

 

AVENANT. - Que faisais-tu là à te démener comme un fou ?

ARLEQUIN. - Je m'essayais à combattre le géant Galifron.


AVENANT. - Avec une broche ?... Tu me fais rire, pauvre sot.

ARLEQUIN. - Vous verrez, vous verrez.

AVENANT. - Ah ! ça, pourquoi es-tu à terre ?

ARLEQUIN. - J'étais tombé de faiblesse. (Se relevant). Mais, mon cher maître, oserai-je vous demander quelle est cette bague qui brille si fort à votre doigt ?

AVENANT. - Apprends, fidèle Arlequin, et mon bonheur et l'aventure incroyable qui vient de m'arriver.

ARLEQUIN. - Qu'est-ce donc ?

AVENANT. - J'ai trouvé...

ARLEQUIN. - Pas le géant Galifron, j'espère ?

AVENANT. - Hé non ! . . . Mais une carpe. . .

ARLEQUIN. - Comment, mon Seigneur, vous vous seriez régalé d'une friture. Vous auriez bien dû m'en réserver.

AVENANT. - Tais-toi donc, imbécile, et écoute-moi. C’est la bague de la Reine que j'ai retrouvée.

ARLEQUIN. - Et par quel miracle ?

AVENANT. - J'étais sorti dès le point du jour et me promenais au bord de la rivière en rêvant à mon triste fort, lorsque j'entendis, à deux reprises, prononcer mon nom. C'était une belle carpe qui me dit : « Avenant, vous m'avez hier secourue, lorsque j'allais périr sur l'herbe où j'étais tombée ; je vous ai alors promis de reconnaître ce service à la première occasion, et cette occasion, elle se présente aujourd'hui même. Ne vous tourmentez plus à propos de la bague de la Belle aux cheveux d'or : je vais vous la rapporter. » À ces mots, la carpe plonge et reparaît bientôt avec la bague. Je la saisis, je remercie l'obligeante carpe, et, tout joyeux, je me dispose à reporter ce matin à la Reine ce bijou auquel elle semble attacher tant de prix.


ARLEQUIN, sautant. - Parlez-moi d'obliger des gens reconnaissants ! Allez, allez vite, mon cher maître. Peut-être que la capricieuse Azélia en voyant sa bague retrouvée, vous tiendra quitte de la dernière condition qu'elle nous a imposée.

AVENANT. - Et ta valeur s'en arrangerait assez, n'est-ce pas ?... Tiens, veux-tu que je te dise ? Tu avais plus de courage lorsque tu n'étais qu'un simple carlin... Je me rends au palais. Si dans l'intervalle Galifron vient à se montrer, dis-lui qu'un chevalier inconnu brûle de se mesurer avec lui.

ARLEQUIN. - Mon cher maître, vous me mettez du cœur au ventre, et vous verrez qu'Arlequin aussi possède quelques sentiments généreux.

(Avenant sort).

 

SCÈNE III.

 

Arlequin, seul

 

ARLEQUIN. - Moi aussi, je brûle de le mesurer avec ma broche, l'aventure de la bague retrouvée me paraît de favorable augure. J’espère bien venir à bout de ma valeureuse entreprise et je prétends :

Qu'on puisse lire un jour, écrit en lettres d'or :
"
Vivat Arlequinus Galifronis victor."


     (On entend dans le lointain une espèce de tumulte et comme des cris d'effroi qui grossissent en se rapprochant). Qu'est-ce que c’est que ce remue-ménage ? (Il regarde dans la coulisse). Hé bon Dieu, comme tout le monde se sauve par ici ! c’est, sans doute, le géant qui les fait fuir... Sont-ils poltrons !... Je n'ai pas peur, moi... (Il parle en tremblant). et je l'attends sans trembler... C’est singulier le premier effet !... Allons, surmontons cette légère venette.

 

SCÈNE  IV.


Galifron


bras de Galifron
 

Arlequin dans un coin du Théâtre, Galifron, sans le voir.
 

GALIFRON, sa massue sur l'épaule. - Les coquins ont sagement fait de se sauver ; je n'en aurais pas laissé un seul vivant. Oui, par les mille millions de tonnerres, je détruirai tous les sujets de l’orgueilleuse Belle aux cheveux d'or qui persiste à refuser ma main.

ARLEQUIN, à part. - Quand je dis l... la main de ce monsieur ! Avec ça, qu'elle est jolie... elle ressemble à une patte.

GALIFRON. - Il m'a semblé qu'on avait parlé en dessous de moi.

ARLEQUIN, à part. - J'ai envie de lui jeter un caillou pour l'agacer.

GALIFRON, apercevant Arlequin. - Je ne me trompais pas. Qui va là ? (Il se baisse et regarde). Qu'est-ce que c’est que cette misérable bamboche ?

ARLEQUIN. - Bamboche ?... Hé bien, attends un peu, je vais t'en faire des bamboches, moi !

GALIFRON. - Misérable avorton ! pauvre mirmidon ! Il ne vaut, en vérité, pas une chiquenaude.

ARLEQUIN. - Apprends donc ta langue, animal. On dit pichenette.

GALIFRON, le poussant du pied. - Tiens, marmouset, voilà un léger acompte.

ARLEQUIN,
tombant assis. - Ohé le butor ! Je suis mort !... À la garde !... au secours !

GALIFRON,
levant sa massue. - Tu cries ?... Je vais t'assommer.


ARLEQUIN, qui s'est relevé. - Si je pouvais t'embrocher. (Il s'approche de Galifron et veut lui porter un coup de broche ; mais le géant le voit et lui assène un coup de massue qui renverse de nouveau Arlequin).

GALIFRON, agitant sa massue. - Quand ils seraient une centaine, je les exterminerais tous !

ARLEQUIN. - En vérité !

Air : J'en dirai tant, tant. 

     Détestable garnement,
     Voyez comme il se démène !
     Tu te donn's trop de mouv'ment ;
     Tu vas gagner la migraine.
     Je veux que cet instrument
     En te crevant la bedaine,
     Je veux que cet instrument
     T
e mette ici sur le flanc.

     Mais, Dieu merci ! voici mon maître. Il va te travailler le casaquin. À moi, Seigneur !

 

SCÈNE V.

 

Arlequin, Galifron, Avenant et un Corbeau.

 

AVENANT, accourant l’épée à la main. - Ah ! mon pauvre Arlequin.

     (Galifron, à l’entrée d'Avenant, s'est retourné de son côté. Arlequin en profite pour lui donner un coup de sa broche. - L'orchestre joue l'air : On va lui percer le flanc, en sourdine).

ARLEQUIN. - Tiens, attrape toujours cela.

GALIFRON. - Cinq-cent-trente millions de rochers !

AVENANT. - Ô cruelle princesse, à quel danger m'exposez-vous ! Mais prenons courage.

GALIFRON. - Ah ! tête ! ah ! ventre ! ah l mort ! (Il lève sa massue contre Avenant ; mais un corbeau vient se percher sur sa tête et lui crève les yeux à coups de bec).

AVENANT. - Oh ! Dieux ! quel prodige ! un corbeau lui crève les yeux. (Galifron s agite avec fureur).

ARLEQUIN, lui donnant des coups de broche. - Tiens, voilà pour me venger de tes coups de pied. (Avenant lui allonge un grand coup d'épée).

GALIFRON, tombant. - Ô rage ! les forces m'abandonnent... Je succombe et sans vengeance !

ARLEQUIN. - Voilà la fin de tous les méchants.

AVENANT. - Grâce au ciel qui protège l'innocence.

LE CORBEAU. - Avenant, j'ai voulu reconnaître le service que tu m'as rendu. Nous sommes quittes. Croâ... Croâ... Croâ... (Il s'envole).

ARLEQUIN. - Oui, vraiment, c’est ce corbeau que mon maître a sauvé des griffes du vautour ; je l'ai reconnu à son air distingué et à son œil gauche qui louche un peu. (Regardant dans la coulisse). Bon, voilà mon maître qui tranche la tête de Monsieur de Galifron ! Oh ! qu'il est laid !

     (Avenant rentre, tenant à la main la tête du Géant. Il est suivi du peuple).

CHOEUR. -

Air: Des Poletais

     Célébrons la valeur
     De ce héros aimable.
     D'un monstre abominable
     Le ciel le rend vainqueur.

AVENANT. - Rendons-nous au palais de la Princesse. Arlequin, suis moi.

Reprise du chœur. (Tous sortent).

La décoration change et représente une superbe salle du palais de la Reine.

 
 
 



Créer un site
Créer un site