THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  VI.

 

Azélia, seule.

 

AZÉLIA. - Je ne sais où porter mes pas... J'erre dans ce palais, sans pouvoir prendre une détermination... Je ne puis deviner ce qui se passe en moi. Le sort de l'aimable Avenant excite si fort mon intérêt, que la crainte des périls auxquels je l'ai inhumainement exposé, trouble sans cesse la tranquillité de mon cœur. Ah ! Si je l'avais su aussi docile à mes caprices, si j'avais cru trouver en lui une si grande abnégation, je me serais bien gardée de lui opposer tant de difficultés... Je croyais le rebuter. Hélas ! le ciel me punit de ma longue indifférence et l'amour se venge en m’inspirant un sentiment qui, de quelque façon que les événements tournent, fera le malheur de ma vie. Oui, si Avenant a péri, ma mort suivra la sienne... et s'il revient victorieux des épreuves auxquelles j'ai fourni son courage, il faudra alors que j'épouse le roi Potestas, et mon fort ne sera pas moins affreux !

Air : De l'héritière

     Amour, dont j'ai bravé les armes.
     M
ets fin à mes tourments secrets !
     F
ais que mon cœur, rempli d'alarmes,
     Retrouve le calme et la paix.
     Ô ciel ! quelle peine est la mienne.
     Et combien est grand mon ennui.
     S
'il faut, hélas, qu'un autre obtienne
     L'amour que je ressens pour lui !

 

SCÈNE  VII

 

Azélia, Zéphyrine.

 

AZÉLIA. - Ah ! Zéphyrine, tu arrives bien à propos pour calmer l'agitation de mon âme.

ZÉPHYRINE. - Je vous cherchais partout, Madame, et ne savais de quel côté vous étiez... Vous paraissez nous fuir toutes, et il me semble que l'inquiétude où vous êtes ne vous laisse pas un instant de tranquillité.

AZÉLIA. - Oui, je te l'avoue, ma chère Zéphyrine, je suis désolée des conditions que j'ai imposées au malheureux Avenant.

ZÉPHYRINE. - Ah ! Madame, ces regrets sont trop tardifs. Si j'avais été à votre place, lorsqu’il est revenu avec tant de joie et d'empressement vous rapporter votre bague, ce qu'il n'a pu faire sans un secours surnaturel, je l'aurais dispensé des deux autres épreuves.

AZÉLIA. - Ah l rends-moi justice, j'ai fait ce que j'ai pu pour l'empêcher d'aller combattre l'odieux Galifron. S'il fallait qu'il eût péri dans cette lutte, je me reprocherais sa mort toute ma vie... ou plutôt je sens que je ne lui survivrais pas !

ZÉPHYRINE. - Je me suis bien doutée, Madame, que l'aimable Avenant trouverait votre cœur sensible.

AZÉLIA. - Oui, j'en fais l'aveu, et ce qui met le comble à ma douleur, c’est que je dois être pour lui un objet de haine. (On entend dans le lointain le chœur). Ô ciel, quel est ce bruit ? Ah ! c’est sans doute la victoire du géant Galifron qui cause cette rumeur.

ZÉPHYRINE. - Détrompez-vous, Madame, ce font des chants d'allégresse.

     (On entend distinctement la reprise du chœur : C
élébrons la valeur. etc).

 

SCÈNE  VIII.

 

Azélia, Avenant, Arlequin, Zéphyrine, suite.

 

AVENANT. Vous me revoyez triomphant, grande Reine, votre ennemi n'est plus.

ARLEQUIN. - Pour ma part, je l'ai lardé comme un bœuf à la mode.


AVENANT. - Le ciel, favorable à mes vœux, m'a fait remplir deux conditions bien périlleuses, et je vous crois. Madame, trop juste pour ne pas tenir à présent la promesse que vous avez daigné me faire.

 

(Zéphyrine sort).

 

AZÉLIA. - Vous l'emportez, brave Avenant ! Je me rends à vos instances, et dès demain, je pars avec vous.

AVENANT. - Ah ! Princesse, que de bonté ! Combien le roi, mon maître, va se trouver heureux quand il saura que la Belle aux cheveux d'or consent à lui donner sa main.

AZÉLIA. - Il ne tiendra qu'à vous, Avenant, de m'éviter ce voyage, si vous voulez m'épouser.


AVENANT. - Pardon, Madame, quoique votre proposition soit à mes yeux d'un prix inestimable, je ne trahirai point la confiance de mon roi.

ARLEQUIN, à part. - Bah ! acceptez toujours.

AZÉLIA. - Je ne puis blâmer votre délicate façon de penser. Avenant ; mais je suis libre de disposer de ma main en faveur de qui bon me semble et...

AVENANT. - Ah ! belle Reine, vous cesseriez de m'estimer, si je trahissais ainsi la confiance de mon prince.

ZÉPHYRINE, rentrant précipitamment. - Madame, madame, rien ne s’oppose plus à vos vœux.

AZÉLIA. - Que veux-tu dire ?

ZÉPHYRINE. - Un courrier, chargé de dépêches importantes, vient d'apporter la nouvelle de la mort du grand roi Potestas, qui a succombé, il y a trois jours, aux suites d'une chute de cheval qu'il a faite à la chasse. Cet événement funeste dégage le bel Avenant de tout serment de fidélité.


AVENANT. - Que m'apprenez-vous ? Ô ciel !

AZÉLIA. - Avenant, les Dieux l'ont voulu, et puisque le destin en a décidé ainsi, vous serez mon époux et je vous fais Roi de mon peuple.


AVENANT. - Ah ! Princesse, que de grâces à vous rendre pour tant de bienfaits, et comment m'acquitter jamais ?...

AZÉLIA. - En m'aimant et en faisant le bonheur de mes sujets.


ARLEQUIN. - Ô mon cher maître ! Ô mon Roi ! vous méritez le haut rang où cette illustre Reine vous élève... Quand on est comme vous généreux et bienfaisant, on est sûr de régner sur les cœurs.

Reprise du chœur.

     Célébrons la valeur
     De ce héros aimable.
     D'un monstre abominable
     Le ciel le rend vainqueur.

 

RIDEAU


     Cette pièce d'ombres est tirée de l'ouvrage consultable et téléchargeable en ligne, auquel on pourra se reporter :

http://openlibrary.org/books/OL23549332M/Histoire_de_ce_spectacle_depuis_son_origine_jusqu'a_sa_disparition_1776-1870. Le tout fait partie du domaine public.

 

     Les ombres présentées ici proviennent d'une planche de Saussine (Barbe Bleue), de deux planches d'Epinal et de l'auteur du site. Toutes sont libres de droits.
 
 
 



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