THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LA BELLE AUX CHEVEUX D'OR

 

PIÈCE FÉÉRIE, EN TROIS ACTES

 

1844

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Séraphin


Avenant

PERSONNAGES :

 

AZÉLIA, surnommée la Belle aux cheveux d'or,
AVENANT, Ambassadeur du roi Potestas,
ZÉPHYRINE, Suivante de la Reine,
ARLEQUIN-CABRIOLE, Écuyer d'Avenant,
GALIFRON, Géant.
Suite, paysans.

 

     Le théâtre représente un site champêtre. Sur l'un des côtés, vers le fond, on aperçoit une rivière qui s'en va fuyant. Elle est bordée d'herbes, de roseaux, etc.

 

ACTE  I

 

SCÈNE  PREMIÈRE


Cabriole
 

Avenant, Cabriole, carpe, Arlequin.

 

AVENANT, entrant suivi d'un carlin. - Éloignons-nous un peu de ma suite et respirons en liberté la fraîcheur de cet ombrage qui invite au repos et à la méditation. Asseyons-nous au bord de cette petite rivière. (Il s'assied et son chien se couche près de lui.) Que l'on est bien ici ! Loin du tumulte des cours, on y peut au moins goûter quelque calme... Oui ! seul, en ces lieux, avec mon petit Cabriole, je m'y plais mieux que dans ces vastes palais, dont la pompe me fatigue, qu'au milieu de ces courtisans, dont le langage convient si peu à mon caractère, et qui, tout en vous serrant la main, n'ont souvent qu'un désir : celui de vous remplacer dans la faveur du maître. Me voilà donc chargé par le roi Potestas, mon souverain, d'une ambassade auprès de cette beauté célèbre qu'on a surnommée la Belle aux cheveux d'or, dont il s’est violemment épris. Il parait que le cœur de cette princesse n’est pas aussi facile à toucher ; car, nombre de prétendants ont échoué. Hélas ! je ne serai peut-être pas plus heureux que tous ceux qui m'ont précédé !... Si je reviens sans elle ou sans son aveu, à la cour du roi mon maître, ma perte est certaine. (Se levant). Allons, à la grâce de Dieu ! Je ne négligerai rien pour réussir, et si j'échoue, quelque soit mon sort, je saurai le supporter avec résignation.

       Air : de Voltaire chez Ninon.

     Inspire-moi, Dieu des amours,
     Viens me prêter ton assistance !
     Je veux, pour vaincre, avoir recours
     À ta séduisante éloquence.
     Malgré son dédain, ses mépris.
     Son orgueil et ses injustices,
     Cœur qui résiste est bientôt pris.
     Quand on épouse ses caprices !


     (Cabriole, le carlin, qui est sur le bord de la rivière, va et vient et jappe d'un air inquiet).

     Cabriole, qu'as-tu donc à tant te remuer ? Ah ! Ah ! c'est une belle carpe dorée qui, en s'élançant, a sauté sur l'herbe ! La pauvre bête est à l'agonie... rendons-lui la vie en la mettant dans l'eau bien doucement... (Il prend la carpe et la met dans la rivière). Comme elle saute ! Comme elle frétille ! C’est un plaisir de la voir ! Mon petit Cabriole, c’est à toi que je dois cette bonne action.


Carpe

UNE VOIX DANS L'EAU. - Avenant ! Avenant !

AVENANT. - Qui m'appelle ?


LA VOIX. - Baisse-toi, regarde sur le bord de la rivière.

AVENANT, regardant. - Je crois, en vérité, que c’est Madame La Carpe.

LA CARPE. - Et tu ne te trompes pas. Je te remercie du service que tu m'as rendu. Tu m'as sauvé la vie ; mais sois sûr que je te le revaudrai.

AVENANT. - Ah ! Madame la Carpe, je suis trop payé par le plaisir que je vous ai fait.

LA CARPE. - Je veux d'abord récompenser ton joli petit Cabriole qui, le premier, s’est aperçu de ma triste position sur l'herbe. Ordonne-lui de se jeter à l'eau, et ne crains rien pour lui. Je suis la fée Carpillonne et je veux te donner dans Cabriole un confident plus digne de toi.

AVENANT. - Je vous crois incapable de me tromper. (À Cabriole). Cabriole ! Hop là !... à l'eau, mon toutou, à l'eau. (Cabriole s'élance dans la rivière d'où il ressort sous la forme d'Arlequin). Ô ciel ! quel prodige !


Arlequin
 

LA CARPE. - Voilà ta première récompense. Adieu, aimable Avenant ; je ne suis pas encore quitte avec toi et nous nous reverrons.

 

SCÈNE  II.

 

Avenant, Arlequin.

 

AVENANT. - Je ne reviens pas de ma surprise... Eh quoi, mon petit Cabriole ?...

ARLEQUIN. - Est toujours le même sous une autre forme, mon cher maître. Oui, je vous serai toujours attaché et vous pouvez compter sur ma fidélité qui tiendra du caniche.

AVENANT. - Quelle heureuse aventure ! Combien je sais de gré à cette bonne fée de m'avoir donné un compagnon tel que toi.
 

ARLEQUIN. - Et moi donc, mon bon maître, qui, lorsque je n'étais qu'un carlin, vous aimais tant, et qui maintenant pourrai vous le dire !

     Air : De galop

     À vous chérir.
     Comme à vous obéir,
     En serviteur fidèle,
     Mettant mon zèle
     En tout temps
     En tout temps
     Je tiendrai mes serments.
     Puisque je vous dois
     Ici ma nouvelle existence,
     Ma reconnaissance
     Sur mon cœur prouvera vos droits.
     À vous servir, etc.


AVENANT. - J'en suis persuadé, mon cher Arlequin. Je veux pourtant que tu conserves ton premier nom.

ARLEQUIN. - Comme cela je m'appellerai Cabriole-Arlequin ou Arlequin-Cabriole... Vous avez bien raison. Ce nom de chien me rappellera ce que j'étais avant d'être devenu un joli garçon et cela m'empêchera d'être trop vain de mes avantages.

Air : De madame Favart

     Lorsque je n'étais qu'une bête.
     J'avais certain raisonnement,
     Qui me disait : Sois doux, honnête,
     Ne grogne pas trop fréquemment ;
     Chacun te trouvera charmant.
     Mais, hélas ! au siècle où nous sommes,
     L'origine de bien des maux
     Vient de c' que les trois quarts des hommes
     Ont moins d' raison qu' les animaux.

     (À cet instant un corbeau traverse en volant le théâtre ; un vautour le poursuit).


corbeau
 

LE CORBEAU. - Croâ ! Croâ ! Croâ !

AVENANT. - Voilà un pauvre corbeau bien en peine !


vautour

ARLEQUIN. - Je le crois bien ! Le malheureux oiseau est poursuivi par un vautour. S'il l'attrape il n'en fera qu'une bouchée.

AVENANT. - Hé bien, je vais le préserver de cette triste fin, en tuant son ennemi d'un coup de flèche.

      (Avenant, qui n'a pas cessé de tenir son arc à la main, disparaît un instant du côté par lequel ont disparu le corbeau et le vautour, qu'il est censé tuer, avec une flèche).

ARLEQUIN, regardant dans la coulisse. - Oh ! comme il l'ajuste ! Crac... voilà Monsieur le mangeur de corbeaux à bas !... C’est bien fait ! comme dit le proverbe : « Qui mal veut, mal lui arrive. »
 

 
 



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