THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

Les hardis sont les premiers
Ils font un bond singulier.
Dans le vaste trou béant,
Ils piqu'nt la tête la première
Tout comm' la saison dernière
Sur les plag's de l'océan.


Il est vrai que l'entonnoir
A souvent l'air d'une baignoire
Pour ne pas dir' d'un' piscine.
Quand on s'y jette on est sûr
De fair' des éclaboussures
Et une prom'nade sous-marine.

Quand il est sec, c'est bien pis.
L'escalier manque de tapis
Et la descente est rapide.
On arriv' sans voir comment,
Par ce nouveau toboggan
Réservé aux intrépides.

Un' fois qu'on est dans le trou,
On y reste malgré tout ;

La place faut pas qu'on la perde.
Si le Boch' qu'on délogea
Remontr' sa trogn' de goujat,
On lui dit qu'il nous em...bête !


33. Le pou.

     L'adversaire voit d'un mauvais œil cette progression sûre et méthodique. Ne sachant l'arrêter par les engins mis à sa disposition, il s'est gratté la tête, et après avoir cherché quelques instants nous a envoyé un de ses agents sournois et insinuant :

Le pou.

Il est petit, petit, petit,
Et ne tient pas grand' place en somme.
Mais comme il a grand appétit,
Le petit pou devient un homme
Avant qu'on sache qu'il est là.
Il passe en vainqueur invincible
Foudroyant comme un Attila
C'est la tête qu'il prend pour cible
Ou la chair qui touche au fémur
Il a vite fait sa tranchée
Un fin duvet lui sert de mur,
Et pour loger une nichée
Un pli de ventre lui suffit
Quant au nombril, avec adresse,
Il a su en tirer profit.
Le pou s'est fait sa forteresse.
Il a son histoire, ses lois,
Ses origines authentiques ;
Les poux de race sont chinois,
Les Boches sont démocratiques.


34.

Ils ont même prouvé chez nous
Qu'ils sont de la dernière classe

Car leur secteur va des genoux
À la ceinture qui les menace.

Orchestre : Je cherche fortune

 

Les poux ne sont pas belliqueux
Vivant en bonne intelligence
Pourvu qu'on ne s'occup' pas d'eux
Ils ne crient pas à l'indigence
Mais si l'on veut faire du mal
À l'un des leurs qui s'achemine
On s'aperçoit que l'animal
A des principes de discipline
Il se dresse et brave les coups
Et pousse un très long cri d'alarme
Quand répondent tous les poux,
L'armée entière a pris les armes.
Les voyez-vous, tous ces guerriers,
Héros d'une grande épopée
Les voyez-vous, crânes altiers
Portant fusil, poussant l'épée
Les voyez-vous tous menaçants
En masse profonde et serrée
Ils vont piquant, mordant, suçant
Leur aura de sang altérée !
Ils sont tenaces, acharnés,
Bercés dans l'art de l'escrime
Remarquablement entraînés
Hardis, fougueux, dignes d'estime
Parfois dans l'ombre des cachots
Leurs instruction s'est poursuivie.
C'est par amour des pays chauds
Qu'ils tiennent tant à la vie
Poursuivons-les jusqu'à la mort
Détruisons-les tous sans relâche
Mais sachons déplorer leur sort
Le pou, Messieurs, n'est pas un lâche.

Orchestre :  « Chœur des soldats » (Faust)

     Aux accents de ce chœur martial, allons là-bas vers le petit village où nous saurons nous délasser quelques jours, allons au cantonnement de repos.


35. Le décor représente une rue de village. La nuit tombe.

     Le village est discret comme un œil de concierge,
Modeste avec des airs désabusés de vierge,

Souriant, comme au fond d'une cage un hibou.
Tous ses toits sont intacts, tous ses murs sont debout,
Bonne aussi la vertu solide des rosières
Ce n'est pas le plus gai pour ces pauvres dernières.
C'est l'heure où la nuit tombe avec d'infinis soins.
La femme de Joseph en a mis beaucoup moins
Pour faire le faux pas de la chute fatale.
Entrons. Tout est paisible ; un chien surpris détale
Quelques rares poilus rasent les murs de près
La grande rue est déserte et tous verrous tirés.
Les maisons du village ont la face endormie
Faut-il désespérer de voir une âme amie ?
Pourtant, voici venir un homme devant nous.
La rue est trop étroite, il a des gestes fous
Et semble vouloir prendre à témoin la nature
De ses réflexions sur la race future.
Il s'arrête : il envoie un regard langoureux
Il esquisse un baiser vers la gauche, puis deux.
Cet homme n'est donc pas un révolté qui clame.
Non, c'est un amoureux qui chante pour la femme
Qu'il devine tout près, derrière le rideau.
Écoutons la chanson de notre Roméo.
D'une voix éraillée, « salut demeure chaste et pure »
C'est ici la maison Faust de ta Marguerite
Et tu chantes le toit virginal qui l'abrite
Mais voici qui nous trouble et nous fait réfléchir
Un homme est près d'entrer que nous voyons fléchir
Sur ses quilles tandis que son esprit travaille
L'équilibre du sol ne lui dit rien qui vaille
Il s'adosse à la porte. Un scrupule le tient
Savoir ce que sa bourse à cette heure contient
Il semble qu'il n'ait pas la fortune rêvée.
Qu'est-ce à dire ? Attend-il le secours d'une fée
Pour transformer en or son métal avili ?

Veut-il faire à Margot un présent très joli ?
Ou bien veut-il ? « Horreur, je ne veux pas y croire. »
Reconnaître un service en illustrant les poires :
Mystère ! Un doute affreux s'empare de l'esprit
C'est Méphistophélès qui jette son défi.
Entrons, une odeur âcre, une antichambre obscure.


36.

Entrons plus loin : Salut, demeure chaste et pure
Temple sacré d'Éros, asile recueilli

Éden d'où l'on ne sort qu'après avoir cueilli
La fleur la plus vivace mais aussi la moins rare
Justement, un élu du temple se prépare
À sortir, satisfait, l'œil en feu, le front haut
Écoutons le discours qu'il se fait : six pélos
Pour l'aller et retour et pour un seul voyage
Dans un wagon meurtri par le temps et l'usage
Sans même avoir le droit de courir au buffet.
Misère ! Où donc est-il le tarif du préfet ?
Ainsi, ce voyageur n'a pas l'âme contente !
Mais serions-nous ici dans la salle d'attente ?
Deux hommes attablés vont nous renseigner mieux.
Celui de gauche donne un conseil précieux
Que son ami souligne en buvant à sa gloire.
Écoutons leurs propos devant le litre à boire.
 


37.

Air : « Quand on n'a pas d' chaussettes
Pour remonter chez soi »

Cinq minutes au plus tard
Nous s'rons auprès d'Adèle
Je prendrai le départ
Tu tiendras la chandelle.

(Ritournelle)

L'ordonnance de police
Est formelle, il paraît :

Pour éviter qu'on n'glisse
Sans descendre à l'arrêt.

(Ritournelle)

Si tu sens qu' la vapeur

Arrive mal dans l' piston
Agite, n'aie pas peur,
Ce n'est pas du carton.

(Ritournelle)

 

Il est recommandé
D' façon particulière

De ne pas faire passer
Le nez à la portière.

(Ritournelle)

 

On risque de s'enrhumer
D'une façon stupide

Évitons d' voyager
Quand il fait trop humide.

(Ritournelle)

 

Quand on a quelque temps
Le voyage est plus chouette

L'express est éreintant
On le fait en brouette.

(Ritournelle)

 

Si pendant le parcours
Tu tombais dans les pommes,

Ne crains pas pour tes jours
Montr' que tu es un homme.

(Ritournelle)

 

Choisis bien l' numéro
De ton compartiment,

Qu'on le puisse « lire » d'en haut
Comm' d'en bas facilement.

(Ritournelle)

On dit qu' sous les tunnels
C'est quelquefois dang'reux.

On risque des étincelles
Vaut mieux fermer les yeux.

(Ritournelle)

 
 



Créer un site
Créer un site