Nous la suivons volontiers des yeux. D'ailleurs, nous ne sommes pas seuls à ce que je vois. La pauvre enfant, que va-t-elle devenir ? harcelée, poursuivie de la sorte ? Ne craignez rien, Ninette est sage. Le chœur de ses suiveurs va nous l'apprendre.
Chœur : Air : « Suzette, Suzette »
Méchante, méchante,
Vous n' voulez pas croire à l'amour ?
Pourquoi donc pourquoi donc
N'écoutez-vous pas Cupidon ?
Ninette n'a pas son petit cœur traversé par la flèche du dieu malin.
Cette flèche, à ses yeux, emprunte une forme plus cruelle et c'est avec effroi qu'elle y songe.
22.
Rassurez-vous, chère Ninette, votre fiancé saura éviter cette baïonnette vraiment scie, comme tout ce qui nous vient de là-bas, grâce à sa vaillante compagne.
Vous lui devez déjà des remerciements à celle-ci, car, en toute occasion, elle sait se rendre utile.
23.
Air : « Sur le seuil de ta porte »
Quant elle a d'un coup prompt
Riposté à l'affront
Pourchassé l'adversaire
En colère,
Oubliant ses lauriers
Et ses rêves dorés
Elle se donn' sans réserve
Faut qu'elle serve
Et plus d'un que la faim
Travaillait, qui sans pain
N'aurait pu faire taire
La misère
Toujours garde en mémoire
La douce et belle histoire
D'une broche de gloire !
24.
Dans la grange aux longs murs
Délabrés et peu sûrs
Où l' vent souffle et pénêtre
Comme un maître,
Les longs soirs de l'hiver
On cherche un tapis vert
Où faire la manille
En famille.
Le jeu tard dans la nuit
Acharné se poursuit.
C'est l'oubli des communes
Infortunes !
À la flamme qu'elle porte,
Le cœur se réconforte
Dans la grange sans porte.
25.
C'est l'heure où l'on voit
Comme en rêve, le toit
De nos chères tendresses
En détresse.
C'est l'heure du souv'nir
Qu'on craint de voir finir
Heure pieuse et profonde
Comme une onde
Que de mots doux très doux
Vont de nos cœurs à vous
Sur la lettre tardive
Et hâtive
Ô vous tout's femm's de France
Si nobl's en la souffrance
Qui versez l'espérance.
26.
Il y a tant de sujets pour exercer la verve épistolaire de notre troupier. Ne croyez-vous pas qu'il puisse s'attendrir lui-même au souvenir de la dure corvée qu'il a dû exécuter ce matin ? Armé d'une pelle, le voyez-vous qui s'acharne avec son collègue, l'homme pioche, à l'élargissement du boyau de communication. L'homme pelle semble dire : « le Boyau, tout est là ! » et il a bien raison. D'ailleurs, son collègue ne cherche pas à le démentir. Dans deux heures, heureusement, ils seront relevés.
Rien d'étonnant que les volontaires soient rares pour une aussi pénible corvée.
27.
Il n'en est pas de même pour celle de soupe, si sympathique. C'est un exercice très agréable et qui n'exige que quelques bonnes qualités d'équilibriste. Ces dernières qualités ont dû manquer au malheureux porteur du second plan qui en sera quitte pour une bûche très utile à son cuisinier. Celui-ci d'ailleurs n'aura pas attendu ce concours pour entretenir son foyer.
28.
Il sait que des rondins sont couramment transportés aux tranchées, et, s'il peut en intercepter un, on n'y verra que du feu, lui surtout.
Le rondin est très utile. C'est le roi des tranchées. Tantôt long, tantôt court, il est plutôt d'une forme régulière, quelquefois cependant, il offre des aspérités dangereuses. On ne sait par quel bout le prendre.
Ainsi, voyez...
Ah ! Mais, qu'est-ce que cela, quelle horreur ! Excusez-nous. Théodule vous vous trompez ! Changez donc le cliché.
29. Le rondin.
Voici le véritable tableau de la corvée.
30.
L'on n'a pas reconnu suffisamment les services rendus par la cavalerie, surtout depuis que l'infanterie est montée. Le cheval du fantassin est d'une race toute neuve. La preuve en est que Buffon, qui paraissait s'y connaître, n'en fait pas mention. Je crois même pouvoir affirmer que Napoléon n'avait pas de chevaux de frise dans sa grande armée. Le cheval de frise a de grandes qualités au repos : il est patient et tient bien sa place si rien ne le défrise. Dans la marche en avant, il est rétif et se cabre : c'est quelquefois nuisible pour la progression. Celle-ci, pourtant, est assurée par un autre moyen : dans les pays vignobles, le sol est pourvu de place en place de quelques entonnoirs.
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Ces entonnoirs géants qui servaient dans les fêtes antiques où Bacchus présidait, recevaient le fruit joyeux de la vigne qui mettait en humeur folâtre le dieu gourmand. Bacchus est l'inventeur de nombreuses gaudrioles : quelques-unes sont venues jusqu'à nous.
Aujourd'hui, une heureuse tactique est de découvrir un de ces entonnoirs et d'en faire l'assaut. Le succès est à celui qui s'y précipite le premier.
Air : « Le clairon » (Déroulède)
Pour prendre d'assaut l'entonnoir
Faut choisir un' nuit bien noire,
Nuit sans étoil's, ni sans lune !
À l'abri de tout' clarté
On s' tient à proximité
Pour guetter l'heure opportune.
Quand l'ordr' d'attaque est donné,
Comme pour un instantané
Quand opèr' le photographe,
Un seul mot, c'est déclenché,
À chacun de s' dépêcher
Pour n' pas rester en carafe.