THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  VIII



ROBINSON  PÈRE. - Ah ! maudite goutte, je te sens venir ! Ah ! que je souffre !



SCÈNE  IX

ROBINSON  PÈRE,  ROBINSON  FILS.



(Robinson fils entre par la gauche et va se placer vis-à-vis de son père.
 


LE FILS. - Mon père, je viens à vous, qu'avez-vous à me dire... ?


LE PÈRE. - Je désirais, mon fils, vous avoir près de moi, pour me tenir compagnie, car je suis, aujourd'hui, bien souffrant.


LE FILS. - Mon père je vous plains et je voudrais pouvoir alléger vos douleurs.


LE PÈRE. - Les maux du corps sont peu de chose, mon enfant, lorsqu'ils ne viennent pas accompagner des chagrins du cœur. Hélas ! J'éprouve les uns et les autres.
    Mon fils, écoutez-moi; et que mes paroles se gravent à jamais dans votre mémoire. Vous allez entrer dans votre dix-huitième année : il est temps que vous songiez à prendre un état. Je dois donc vous faire connaître que je vous destine à l'étude des lois. Si vous voulez suivre cette carrière et demeurer dans votre famille ; vous serez, mon cher enfant, le bonheur du reste de ma vie et je ferai mon possible pour rendre votre existence entièrement heureuse... Je sais que l'envie d'aller sur mer vous occupe journellement. Je vous défends d'y songer désormais ; car vous n'avez aucune raison de vous laisser dominer par ce malheureux penchant. L'espoir de jouir d'un plus grand bonheur en amassant de grandes richesses, vous entraîne, peut-être ?
    Ah ! mon enfant, croyez-en mon expérience, le bonheur n'existe ni chez le riche, ni chez le pauvre : les riches sont tourmentés par les peines d'esprit et par les nombreuses infirmités du corps que produisent l'abus du plaisir et le délire des sens ; les pauvres sont exposés aux rigueurs du travail et aux continuelles privations. C'est, mon fils, dans la classe médiocre, qu'on trouve tous les biens qui peuvent captiver le cœur d'un honnête homme: on y est étranger à l'ambition et à l'envie; on y parcourt sa carrière sans acheter son existence au prix de sa liberté, sans se livrer à toutes ces combinaisons d'esprit, qui torturent la paix de l'âme ; en raisonnant ainsi, on reconnaît, enfin, de plus en plus l'étendue de son bonheur. Ne vous laissez donc pas séduire par l'appât des richesses, ou vous vous précipiteriez dans de nombreux malheurs.
    Mon fils ! je ne cesse de demander au ciel de détourner toute espèce de maux de dessus votre tête ; il m'a accordé cette grâce jusqu'à ce jour ; je vous préviens cependant que, si vous résistez aux avis que je vous donne, il vous retirera sa protection et vous serez malheureux toute votre vie. J'ai beaucoup de choses encore à vous dire, mais mes souffrances ne me permettent pas de vous parler plus longtemps. Je suis forcé d'aller au lit (Il se lève et rentre dans la maison).



SCÈNE  X



ROBINSON  FILS (Il se tourne vers la mer). - Ainsi, en persistant dans mon projet, non seulement j'aurais à affronter tous les dangers de la mer, mais j'encourrais encore la malédiction du ciel. Non, je ne m'y exposerai pas : je dirai à William, qui doit venir me chercher, que je suis décidé à ne pas l'accompagner... Cependant, mes effets sont à bord, il m'attend ; que dira-t-il de moi, en apprenant que j'ai aussitôt changé d'idée ; peut-être croira-t-il que la peur me retient ; ou que je suis un enfant à qui l'on fait croire tout ce que l'on veut ; il va me tourner en ridicule... que faire donc, pour le persuader du contraire ?... Le seul moyen, c'est de lui dire tout ce qui vient de se passer entre mon père et moi ; de lui avouer tout, et, si son cœur n'est point insensible, au lieu de me blâmer, il me louera d'avoir pris le parti le plus sage.



SCÈNE  XI

(On voit arriver le canot qui va se placer derrière le môle ; peu après, William monte et entre dans te salon).


ROBINSON.  WILLIAM.



WILLIAM. - Allons ! mon ami, nous partons ; on n'attend plus que toi pour lever l'ancre.


ROBINSON. - Mon cher ami, j'ai pris un autre parti qui me paraît le plus sage ; je renonce à la mer. Mon père vient de me défendre expressément de mettre les pieds sur un bâtiment. Il m'a menacé de la malédiction du ciel, si je venais à lui désobéir. Il semble avoir découvert notre projet : cependant, je me suis bien gardé de lui en parler.


WILLIAM. - Il ne peut manquer de l'apprendre ; car tes effets sont embarqués; et, tu comprends, mon cher, qu'on ne peut retarder le navire pour les envoyer à terre. Ils resteront donc à bord jusqu'à la fin de la campagne et tu seras obligé d'en informer ton père afin qu'il ait à te donner ce qui te sera nécessaire pour les remplacer.


ROBINSON. - Que me dis-tu là ? Ah ! mon ami, tu ne sais pas toute la peine que j'en ai. J'aimerais mieux partir que de me mettre dans la nécessité de découvrir à mon père le projet que j'avais formé de m'embarquer à son insu. Mais, dis moi, n'y a-t-il pas quelque moyen de faire revenir mes effets à terre ?

WILLIAM. - Je n'en vois point ; au surplus, je suis pressé d'aller à bord ; je n'ai donc point le temps de me creuser la tête pour si peu de chose. Puisque tu ne veux pas me suivre, je te souhaite le bonjour...


ROBINSON. - Tu pars, William ? Ah! je t'en conjure, donne-moi quelque conseil sur le parti que je dois prendre. Dis-moi, que ferais-tu en ma place ?


WILLIAM. - Mon cher, si je t'étais moins sincèrement attaché, je te laisserais te débarbouiller dans le chaos où tu t'es jeté par tes continuelles irrésolutions.
     Je ne me laisserais pas toucher par quelques mots de tendresse, et je partirais malgré mes parents, en me faisant ce raisonnement bien simple : plus mon départ leur fera de chagrin, plus mon retour leur causera de joie.


ROBINSON. - Ah ! mon cher William, que tu soulages mon cœur.


WILLIAM. - Mais, je ne veux pas te contrarier ; reste à terre, c'est, comme tu le dis, le parti le plus sage.


ROBINSON. - Non, mon ami, c'en est fait : je pars, je t'accompagne.


WILLIAM. - Reste, te dis-je; car tu pourrais ensuite, s'il t'arrivait quelque malheur, m'en faire des reproches...


ROBINSON. - Non, non, sois en bien persuadé, je t'en donne ma parole !


WILLIAM. - Alors, partons !


ROBINSON. - Je vais prendre ma capote et mon bonnet ; je suis à toi, à l'instant.

Homme en théâtre d`ombres silhouettes ombres chinoises marionnettes
(Il rentre dans la maison).



SCÈNE  XII



WILLIAM (Il se retourne vers la mer et sort par le môle).



SCÈNE  XIII



ROBINSON. - Partons ! (Il entre, venant de la maison, et sort par le môle).



SCÈNE  XIV



(On voit passer le canot dans lequel se trouve Robinson, le canot vient du môle et sort du côté opposé.)



ACTE DEUXIÈME


LE  NAUFRAGE



     Le temps est très beau. La goélette passe très lentement de la droite à la gauche du tableau.

     Son pavillon n'est pas encore hissé.

     On entend de joyeuses chansons.

     Le ciel devient plus sombre.


     (Pour obtenir cet effet, on baisse l’éclairage du réflecteur.)

     La goélette repasse de la gauche à la droite et paraît tourmentée par la mer.

     Elle va plus vite. Il fait des éclairs et du tonnerre (On souffle pour cela sur une bougie avec de la colophane réduite en poussière et placée sur urne carte ; quant au tonnerre on l'imite avec une plaque de tôle.)


     La goélette repasse encore, de la droite à la gauche, toujours le jouet desflots.

     Ses mouvements deviennent de plus en plus saccadés.

     La foudre déchire par instants la mer.

     Le navire en détresse hisse son pavillon en berne et tire un coup de canon.

     La pluie tombe avec violence.


      (Imiter la pluie avec une feuille de cuivre très légère.)


     Le temps détient de plus en plus sombre. On voit passer, de la gauche à la droite, la goélette, elle est très tourmentée par la tempête.


     À gauche, la chaloupe apparaît contenant une partie de l'équipage.

     Elle monte et descend sur les flots, puis vient se briser contre le rocher a fleur d'eau et sombre promptement.

     La goélette désemparée revient alors sur la scène. Elle est fortement agitée par les vagues.

     Des matelots se sont attachés à l'un des mats.

     Après avoir lutté contre la tempête, la goélette, s'enfonce peu à peu et coule à pic.

     On entend des cris de désespoir.

     Le temps devient plus clair. Les éclairs et le tourmente cessent.


     Un naufragé passe à la nage de gauche à droite et crie :


NAUFRAGÉ. - Ma pauvre femme !

     (Il disparaît au milieu des vagues.

     Un autre naufragé, soutenu par un madrier, traverse la scène et dit :)


NAUFRAGÉ. - Jésus ! Maria ! Ayez pitié de moi !


     (Il n'est pas plus heureux que le précédent. La mer l'engloutit au bout de quelques instants.

     Le temps devient de plus en plus clair. La pluie ne tombe plus.


     Deux autres hommes de l'équipage passent flottant sur des pièces de bois et nagent ensemble en faisant de courageux efforts.)

PICARD. - Pierre, du courage ! t'as des enfants ! moi je suis seul, tant pis si je me noie. Je vais te laisser le radeau. Tâche de te sauver.


PIERRE. - Merci Picard, T'es un brave garçon.


     (Les deux naufragés disparaissent du tableau entraînés par un tourbillon de vent.


     Alors une énorme baleine apparaît lentement sortant du fond de la mer. Elle respire, souffle et lance son eau en gerbes par ses évents. puis elle s'arrête au milieu de la scène, balancée par les lames. Tout d'un coup, un matelot, accroché à un bout de mat, arrive dans la direction de la baleine, essaye inutilement de se sauter et s'écrie :)


MATELOT. - Je suis perdu !


     (La baleine ouvre la bouche à deux ou trois reprises, montre ses fanons et puis, par un rapide mouvement de mâchoires, engloutit tout d'un coup le malheureux naufragé qui lutte en vain quelques instants.

     Chassée par la tempête dans les bas-fonds, la baleine disparaît par la droite.


     Le temps est redevenu tout à fait beau. Le soleil reluit à gauche. Des mouettes voltigent et annoncent la fin de l'orage.


 

 
 



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