THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

ROSE  DE  TANEBOURG
Tiré de :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742529m.texteImage

PERSONNAGES

Édelbert, Chevalier de Tanebourg.
Cuneric de Fichtemberg.
Édouard, fils aîné de Cuneric.
Albert, fils de Cuneric.
Burkar, charbonnier.
Baudouin, écuyer de Cuneric.
Ildegarde, femme de Cuneric.
Rose, fille d'Édelbert.
Gertrude, femme de Burkar
Hedvige, concretge.
Técla, bonne d'enfant.
Soldats.



PREMIER TABLEAU

La scène représente une forêt. Le gros arbre est à droite.



SCÈNE I

BURKAR, GERTRUDE.

 

BURKAR. (Il tient la droite de la scène, sa femme la gauche.)  - Retourne au logis, ma femme, et que tout soit prêt demain de bonne heure. Nous partirons à la pointe du jour, afin de ne pas arriver trop tard au château. Oui, il sera bien d'aller, demain, visiter notre bon seigneur Édelbert de Tanebourg. Il y aura demain un an que ce bon chevalier, qui est bien le plus brave, le plus juste et le plus humain des seigneurs de noire temps, m'a sauvé la vie ; il m'arracha des mains du cruel Cuneric, baron de Fichtemberg, qui avait juré de me faire périr dans un cachot, avec les serpents et les crapauds.

GERTRUDE. - Oh ! je me souviens bien de cette horrible journée.


BURKAR. - Va donc tout préparer : tu prendras dans le jardin ce que tu trouveras de mieux en fleurs et en fruits, que nous porterons à son aimable fille, mademoiselle Rose ; et moi, pendant la nuit, je battrai la forêt pour tuer quelque pièce de gibier, ce qui fera plaisir à notre bon seigneur. Nous ne pouvons oublier, ma chère Gertrude, que nous lui devons tout ce que nous possédons (Il se retourne et sort par la droite).


GERTRUDE. - Burkar a raison ; on ne saurait trop faire pour un si bon maître et je voudrais le voir aussi heureux qu'il le mérite ; mais, hélas ! depuis la mort de sa digne épouse, la joie et le bonheur semblent être sortis du château. La bonne Rose, qui ressemble à sa mère par son esprit et son excellent cœur, fait pourtant ce qu'elle peut pour adoucir le chagrin de son père. Cette aimable enfant est chérie et bénie de tous ceux qui peuvent apprécier sa douceur, sa modestie, sa compassion pour les malheureux ; et en la voyant, on ne peut s'empêcher de dire ; « Rose de Tanebourg est certainement la plus belle demoiselle de Bavière, mais sa beauté est encore au-dessous de ses vertus. (Elle sort par la droite).



SCÈNE II

BAUDOUIN, ÉDOUARD.
(Le premier entre par la gauche, le second par la droite.)


BAUDOUIN. - Voici mon jeune maître, qui peut l'amener en ces lieux ?


ÉDOUARD. - C'est toi, Baudouin ?


BAUDOUIN. - C'est moi-même, seigneur Édouard.


ÉDOUARD. - Je suis bien aise de te rencontrer. D'où viens-tu ?


BAUDOUIN. - Votre noble père, le baron Cuneric de Fichtemberg ne vous a-t-il pas instruit de notre départ ? Nous venons de nous emparer du château de Tanebourg.


ÉDOUARD. - Ah ! que me dis-tu ? Nous ignorions, ma mère et moi, le départ de mon père pour Tanebourg, mais une circonstance imprévue est venue ensuite nous le faire connaître. Alors, ma mère m'a bien vite envoyé pour détourner mon père de cette attaque injuste. Mais je vois bien, cher Baudouin, qu'il est trop tard puisque tu m'apprends que le château du malheureux Édelbert vient d'être livré au pillage.


BAUDOUIN. - Je regrette, seigneur Édouard, de ne pouvoir vous donner, ainsi qu'à madame votre mère, une nouvelle plus agréable en cette circonstance. Le message, dont je suis porteur, est pour lui annoncer qu'Édelbert est conduit prisonnier à Fichtemberg.


ÉDOUARD. - Je retourne alors vers ma mère, pour la préparer à cet événement qui ne peut qu'augmenter ses chagrins. — Mais dis-moi, Édelbert avait une fille dont on vante les vertus et la beauté ; a-t-elle, au moins, été épargnée ?


BAUDOUIN. - On l'a vue se jeter aux pieds de notre puissant maître pour implorer la grâce de son père, ou pour qu'il lui soit permis de ne point le quitter. Mais l'ordre a été donné de la repousser ; elle nous a encore suivis quelque temps ; mais ses forces épuisées l'ont enfin obligée de ralentir sa marche. Alors nous l'avons laissée en arrière et perdue de vue.


ÉDOUARD. - Pauvre demoiselle !... Baudouin, je me charge de ton message près de ma mère, et tu vas venir avec moi pour me guider dans les sentiers de cette forêt où je pourrais m'égarer. Hâtons-nous; car j'aperçois déjà nos guerriers au pied de la montagne : il serait imprudent, sans doute, de me montrer à mon père en ce moment (Édouard se retourne et ils sortent par la droite).



SCÈNE  III


     Le cortège, conduisant Édelbert prisonnier, arrive par la gauche et traverse la scène pour sortir par !a droite. Le jour tombe.


SCÈNE IV


ROSE. (Elle entre par la gauche.) - Où diriger mes pas ?... Où trouver une retraite pour me reposer ?.,. Me voici seule dans cette forêt, et la nuit s'avance !... Hélas ! je suis accablée de fatigue et j'ai la douleur de ne pouvoir alléger les souffrances de mon pauvre père, ni détourner les périls qui le menacent !... si du moins je voyais la chaumière de Burkar, ce bon et fidèle serviteur ; ma seule ressource en ce moment... mais à cette heure je ne puis que m'égarer davantage !... et peut-être serai-je la proie de quelque bête féroce... (Elle tombe à genoux et joint les mains). Ô mon Dieu!., mon Dieu !... vous qui avez dit : « Implorez-moi dans votre détresse et je viendrai à votre secours... » Mon Dieu !... ayez pitié de mon pauvre père... ayez aussi pitié de moi,., vous voyez ce que je souffre... Mais, j'entends du bruit, serait-ce quelqu'un ?... Ô Dieu de bonté, si c'est du secours que vous m'envoyez, je vous rends grâce... (elle se retire).



SCÈNE  V

ROSE,  BURKAR.
(Burkar entre par la droite.)

 

BURKAR. - Qui va là ?


ROSE. - Ah ! qui que vous soyez, ayez pitié de moi !... Je me suis égarée dans cette forêt. Indiquez-moi, je vous prie, la chaumière du charbonnier Burkar.

BURKAR. - Burkar, le charbonnier ?... Mais c'est moi. Et vous, ma belle demoiselle, qui êtes-vous et qu'attendez-vous à cette heure du charbonnier Burkar ?


ROSE. - Je suis Rose de Tanebourg.


BURKAR. - Rose de Tanebourg !... La vertueuse fille de notre bon seigneur !... Quoi, c'est vous ! Pardonnez-moi si la nuit m'a empêché de vous reconnaître ; mais aussi en quel lieu, en quel état je vous retrouve. Comment, une jeune demoiselle délicate comme vous ose-t-elle s'aventurer dans cette forêt sauvage ?


ROSE. - Hélas !... je venais vous implorer. Ne savez-vous pas notre affreux malheur ?


BURKAR - Qu'est-il donc arrivé ?


ROSE. - Cuneric de Fichtemberg a surpris notre château ; mon pauvre père est en ce moment chargé de fers !


BURKAR. - Quoi, l'infâme Cunéric !... Que les mille et mille !... Au nom du ciel expliquez-moi cela, je vous prie ; un événement si malheureux me paraît inconcevable.


ROSE. - Surpris pendant la nuit, Cuneric, suivi d'une troupe effrénée a pu arriver jusqu'à nous. Alors, les yeux étincelants de colère, il s'est précipité sur mon père désarmé, en lui criant : « Apprête-toi au châtiment que te réserve ma haine !... Ton domaine est à moi ; je le livre au pillage et un cachot sera désormais ta demeure ! » Se tournant ensuite vers ses soldats ; « Enchaînez-le et qu'il soit gardé, jusqu'au moment du départ. » — Fondant en larmes, je me jetai aux pieds du barbare, le conjurant d'avoir pitié de mon père. Mais je fus repoussée avec brutalité et mon père fut chargé de fers. À genoux près de lui, je pleurais, hélas ! et je priais : « Calme-toi, mon enfant, me dit-il alors, et prends courage. Puisqu'il faut nous séparer, laisse-moi te donner promptement mes conseils : tâche de te retirer chez le charbonnier Burkar, un de mes plus fidèles serviteurs ; lui et sa femme auront soin de toi, leur chaumière est dans la forêt voisine. » — À peine a-t-il fini de parler que l'ordre de partir est donné. Je les supplie encore de m'emmener prisonnière avec mon père ; mais ils l'arrachent de mes faibles bras, et ces hommes farouches l'entraînent malgré mes prières et mes cris. En voulant les suivre, je me suis égarée dans cette forêt.

 


 

 
 



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