BURKAR. - Rassurez-vous, noble demoiselle, Dieu n'abandonnera pas votre respectable père ; et moi je traverserai feu et flamme pour vous et pour lui. — Pour le moment, il vous faut du repos ; notre chaumière n'étant pas éloignée d'ici, je vais vous y conduire. — Vous y resterez jusqu'à ce que Dieu vienne à notre aide. Allons, ne pleurez pas. Venez et je songerai au moyen de vous servir. (Burkar se retourne et ils sortent tous deux par la droite.)
DEUXIÈME TABLEAU
La scène représente l'intérieur d'une chaumière dans la forêt.
SCÈNE I
GERTRUDE (elle est en scène à gauche)
ROSE (vêtue comme précédemment, elle entre par ta droite.)
ROSE. - Je vous cherchais, Gertrude, pour vous souhaiter le bonjour et savoir comment vous avez passé la nuit.
GERTRUDE. - Bien, ma bonne demoiselle, et je vous remercie. Mais vous-même, vous trouvez-vous un peu mieux ce matin ?
ROSE. - Le repos que je viens de prendre a suspendu pour un moment le cours de ma douleur ; mais, hélas ! au réveil le souvenir trop fidèle de mon infortune a bientôt rouvert toutes les plaies de mon cœur.
GERTRUDE. - Ah ! ma chère demoiselle, ne vous chagrinez pas ainsi. Mettez votre confiance en Dieu, il saura vous rendre le bonheur quand il en sera temps. — Avez-vous, en vous levant, pris quelque nourriture ? Je vous avais préparé sur le buffet une tasse de lait frais et quelques fruits mûrs que j'ai cueillis ce matin.
ROSE. - J'ai remarqué cette attention dont je vous remercie. Mais, où est votre mari ?
GERTRUDE. - Il doit arriver tout à l'heure, car il n'a pris aucun repos depuis votre arrivée. Tandis que vous dormiez, je le voyais cherchant ce qu'il ne pouvait trouver, je veux dire le moyen de remédier à votre malheur : il se grattait l'oreille; tirait son bonnet tantôt à droite, tantôt à gauche ; puis en avant, ensuite en arrière. Si bien que ne pouvant plus le supporter sur sa tête échauffée, il finit par l'ôter tout à fait. Joignant alors les mains, il se mit à prier, et peu après il partit pour le château de Fichtemberg, afin d'avoir quelques nouvelles de votre père.
ROSE. - Que je suis touchée de tant de dévouement !... Dieu veuille qu'il réussisse... Mais, le voici venir, il va nous faire connaître le résultat de ses démarches,
GERTRUDE. - Je vous laisse un instant pour m'occuper du déjeuner : Burkar sera bien aise, sans doute, de prendre quelque nourriture. Il nous contera tout cela à table (elle sort par la droite).
SCÈNE II
ROSE, BURKAR.
ROSE. - Cher Burkar ah ! parlez, je vous prie, quelle nouvelle avez-vous ?
BURKAR (il entre par la gauche). - Je viens du château de Fichtemberg. Je suis entré sous prétexte d'offrir aux domestiques du château de m'acheter quelques champignons ramassés en route. J'avais l'espoir de savoir des nouvelles ; mais la concierge, qui a bien voulu prendre mes champignons, ne m'a entretenu que de la servante qu'elle vient de congédier et qu'elle cherche à remplacer. J'ai promis, pour en finir au plus vite avec son bavardage, que si j'en trouvais quelqu'une qui puisse lui convenir, je la lui enverrais.
ROSE. - Bon !... c'est cela !... oh ! la bonne idée !
BURKAR. - Comment, que voulez-vous dire ?
ROSE. - Oh ! que je suis contente !... Écoutez ; je prends le costume de la fille d'un charbonnier ; je donne une teinte de fumée à mes mains et à mon visage ; vous venez avec moi chez la concierge et vous tâchez de me faire entrer à son service. Alors, je saurai bien arriver jusqu'à mon père ; je ferai en sorte d'adoucir son infortune et peut-être me sera-t-il possible de le délivrer... je cours annoncer cette bonne nouvelle à Gertrude qui voudra bien, je l'espère, me prêter ses habits (elle se retourne et sort par la droite.)
SCÈNE III
BURKAR (seul). - Vertueuse demoiselle!... que j'aime à la voir ainsi si joyeuse ! Mais que dois-je penser de son idée ?... La laisserons-nous ainsi partir ?... Voici ma femme, voyons ce qu'elle me dira de cette singulière résolution.
SCÈNE IV
BURKAR, GERTRUDE.
GERTRUDE (elle entre par la droite). - En voilà bien d'une autre !... notre jeune maîtresse, la fille de l'illustre chevalier de Tanebourg veut maintenant se faire servante !...
BURKAR. - Et tu consens à ce qu'elle s'expose ainsi ?
GERTRUDE. - Crois-tu que je n'aie pas fait tous mes efforts pour l'en détourner ?... Mais elle le veut absolument et il faudra bien la laisser faire ; car c'est peut-être une inspiration du ciel. — Que Dieu donc la protège... Elle est à faire sa toilette avec mes habillements. Vous déjeunerez en route, et tu auras bien soin de la guider comme il faut dans les sentiers les plus difficiles. Songe, Burkar, que c'est la fille unique de notre bienfaiteur, aujourd'hui malheureux captif, que je confie à tes soins. — Allons, je vais lui dire adieu. Je resterai à pleurer dans notre chaumière ; car je sens que cette séparation va me fendre le cœur (elle se retourne et rentre far ta droite).
SCÈNE V
BURKAR (seul). - Je vois bien que ce projet-là ne lui plaît pas plus qu'à moi et que ça lui tourne la tête. Nous étions si honorés et si contents de l'avoir avec nous.
SCÈNE VI
BURKAR, ROSE.
(Rose est vêtue en paysanne. Elle entre par la droite.)
ROSE (elle a un panier au bras). - Qu'en dites-vous, Burkar, ne suis-je pas bien comme cela ?
BURKAR. - Je suis ravi de vous voir sous ce simple costume qui vous sied parfaitement et j'espère que vous réussirez ainsi ; c'est pourquoi je ne chercherai à m'opposer à votre départ : Dieu n'abandonnera pas, je le crois, un enfant qui se dévoue ainsi pour son père. Cependant, j'ai plusieurs conseils à vous donner ; mais comme je vois que vous avez hâte de partir je vous les dirai en chemin.
ROSE. - Partons alors, si toutefois vous ne vous sentez pas trop fatigué.
BURKAR. - Avec vous, ma noble demoiselle, j'irais, sans me délasser, jusqu'au bout du monde (il se retourne puis ils sortent tous deux par la gauche).
TROISIÈME TABLEAU
La scène représente la loge de la concierge et la cour du château de fichtemberg. Un puits est du côté opposé la loge.
SCÈNE I
ROSE, HEDVIGE.
(Elles sont toutes deux en scène. La première tient la droite de la scène, la seconde la gauche.)
HEDVIGE. - Eh bien !... Qu'as-tu à me regarder comme cela, grande innocente... As-tu fait ton ouvrage ?... tiré de l'eau ? porté du bois ?... lavé la vaisselle ? balayé le plancher ? frotté les meubles !... Que fais-tu là ? Où vas-tu ?Que me veux-tu ? Allons parle vite et tôt ; ou décampe moi à l'instant faire ta besogne.
ROSE. - Maîtresse, j'ai fait toute ma besogne.
HEDVIGE. - Eh bien, occupe-toi à nettoyer les casseroles et à les rendre claires. Ensuite tu finiras la paire de bas que tu as à tricoter, et ne me casse pas la tête davantage. Ou plutôt, approche et tiens-toi là : voilà bientôt un mois que tu es gagée avec moi. Je suis assez contente de tes services ; mais j'ai des recommandations à te faire. Écoute-moi bien : Ton père le charbonnier est venu te voir ce matin. Ce n'est pas mal assurément, et je te permets, pourvu que ta besogne n'en souffre pas, tu entends, de rester un peu avec lui, et de causer de vos affaires. Mais je te défends de dire quoique ce soit sur mon compte. — Je sais qu'on bavarde de moi dans le pays ; on prétend que je ne peux vivre avec personne et que j'ai changé vingt domestiques dans moins de trois ans. Mais on ne dit pas pourquoi, on n'a garde de dire les défauts de ces vingt servantes. Je vais, moi, te le dire en deux mots : la première était entêtée et voulait toujours avoir raison ; la seconde était gourmande et maussade ; la troisième dormeuse et nonchalante ; la quatrième friande et voleuse comme une chatte ; la cinquième coquette le dimanche et malpropre toute la semaine ; la sixième oublieuse à l'excès et effrontée menteuse ; la septième curieuse et mauvaise langue. Je ne finirais pas s'il fallait te dire les défauts des treize autres. Évite toujours de ressembler à toutes ces créatures. — J'ai besoin de m'absenter pour aller voir ma vieille mère ; car la tête me tourne de la savoir malade et de ne pas être près d'elle. Je ne rentrerai pas avant la nuit. Je te charge en mon absence d'aller porter à manger à notre prisonnier. Je t'ai montré hier son cachot et t'ai dit ce que tu aurais à faire.
ROSE. - Le garde de la tour me laissera-t-il entrer, maîtresse ?
HEDVIGE. - Je lui ai recommandé de t'ouvrir la première porte, quand tu voudras, et de te laisser passer librement ; parce que c'est toi qui me remplaceras désormais pour le service de la prison : je suis trop vieille pour grimper et descendre si souvent ces escaliers-là, où on n'y voit goutte. Tu prendras la lanterne et la clef du cachot ; elle est dans mon tiroir. — Allons, je m'en vais. Aie soin de me tenir un bon souper prêt pour mon retour (elle se retourne et sort par la gauche).
SCÈNE II
ROSE (seule). - Quel bonheur inespéré !... Ah ! certes, je ne m'attendais pas qu'elle allait me laisser aussitôt seule avec mon père !... Je pourrai lui dire que je suis sa fille et lui prodiguer mes soins. Il ne m'a pas encore reconnue ; car je n'ai point osé me faire remarquer devant la concierge. Quelle sera sa joie de me retrouver près de lui !... Dépêchons-nous de préparer tout ce qu'il sera possible de lui porter pour adoucir sa captivité (elle sort par la gauche).
QUATRIÈME TABLEAU
La scène représente une prison.