SCÈNE I
ILDEGARDE (à gauche), ALBERT.
ALBERT (il entre par la droite). - Me voici, ma bonne maman, que me voulez-vous ?
ILDEGARDE. - Approchez, vilain enfant, et dites-moi comment vous avez pu vous laisser tomber dans ce puits dont les bords sont pourtant bien élevés ?
ALBERT. - Dame ! ma bonne maman, ce n'est pas ma faute : je m'amusais avec des cailloux lorsqu'un petit oiseau vint se poser sur le bord du puits ; je voulus rattraper et je fis la culbute sans le vouloir.
ILDEGARDE. - Voyez, monsieur, à quel danger vous vous êtes exposé et quelle frayeur vous nous avez causée par votre étourderie et votre désobéissance; car je vous avais bien défendu de jouer si près du puits.
ALBERT. - C'est vrai, ma bonne maman, et je t'en demande pardon ; cela ne m'arrivera plus ; car j'ai eu bien peur, je t'assure.
ILDEGARDE. - Ah ! mon enfant, remercie Dieu d'avoir envoyé un ange à ton secours.
ALBERT. - Oui, la bonne Rose ; c'est elle qui m'a sauvé. Demandez-le lui, elle vous dira comment elle a fait.
ILDEGARDE. - Je l'ai envoyé chercher par ton frère Édouard ; mais il me semble qu'elle tarde bien à venir.
ALBERT. (Il se tourne vers Rose qui entre par la droite.) - La voici !... Entrez, Rose, maman désire vous parler (il sort par la droite. Rose entre du même côté).
SCÈNE II
ROSE (en paysanne), ILDEGARDE (dans son fauteuil).
ILDEGARDE. - Ah ! ma chère amie, que vous êtes bonne et courageuse, et que je vous dois de reconnaissance pour votre sublime dévouement !.. Sans vous, mon enfant chéri n'existerait plus !... oui, je vous remercie du fond du cœur et je veux faire désormais tout ce qui dépendra de moi pour vous rendre heureuse. Quant à Técla, elle a manqué à ses devoirs de gouvernante. Elle s'en ira demain.
ROSE. - Daignez me permettre, madame, d'intercéder pour Técla. Certainement elle a manqué à ses devoirs ; mais ce malheur lui donnera de l'expérience ; et si vous voulez être juste envers elle, il faut, en voyant sa faute, voir quel est son repentir. Il faut aussi songer qu'elle a bien contribué à sauver l'enfant. Dieu vient de se montrer miséricordieux envers vous, madame, refuseriez-vous maintenant de pardonner à une pauvre orpheline qui n'a d'espoir qu'en vous.
ILDEGARDE. - En vérité, ma fille, je ne sais ce que je dois le plus admirer de votre courage ou de vos nobles sentiments. Je ne renverrai pas Técla pour ne pas vous chagriner ; mais vous la remplacerez dans ses fonctions; vous resterez près de moi ; vous serez ma compagne, mon amie ; et, quand le baron Cuneric sera de retour, je lui dirai ce que nous vous devons. Il saura vous récompenser d'une manière digne de vous.
ROSE, - Madame, je suis heureuse de mon obscure condition, et me trouve bien chez Hedvige. Laissez-moi, de grâce, où je suis.
ILDEGARDE. - Singulière enfant !... Je ne vous conçois point ; mais, ne puis-je donc rien faire pour vous ?... demandez-moi quelque chose ; demandez-moi tout ce que vous voudrez et je promets de vous l'accorder ; je vous le promets sur l'honneur ; pourvu qu'il n'y ait pas impossibilité absolue.
ROSE. - Eh ! bien, madame, je reçois votre promesse. Accordez-moi seulement le temps d'y penser ; un jour viendra j'espère où vous pourrez me procurer un grand bonheur. Daignez m'excuser, madame, et me permettre, maintenant, de retourner à mes occupations (elle se retourne et sort par la droite).
SCÈNE III
ILDEGARDE (dans son fauteuil). - Je ne puis m'expliquer sa conduite ! Où a-t-elle pris cette manière de s'exprimer et cette aisance modeste avec laquelle elle s'est présentée devant moi. Non, ce n'est pas la fille d'un charbonnier !...
SCÈNE IV
ILDEGARDE, ÉDOUARD.
EDOUARD (Il entre par la droite). - Je vous apporte, ma bonne mère, une nouvelle surprenante.
ILDEGARDE. - Qu'est-ce ? Explique-toi.
ÉDOUARD. - Vous m'avez envoyé chercher Rose ; ne pouvant la trouver, j'appris enfin par le garde de la tour qu'elle y était entrée. Je me dirigeai alors vers le cachot du chevalier Édelbert. Là, je fus singulièrement surpris de trouver Rose causant avec le chevalier prisonnier qu'elle appelait son père ; tandis que lui, nommait Rose sa fille. Je les ai écoutés ; ils se croyaient sans témoins : Dieu ! qu'ils sont tous deux bons et généreux !... Le pauvre Édelbert, bien qu'il soit dans nos prisons, n'a pas de haine contre nous ni contre mon père. Il engageait sa fille à nous rendre, toujours, le bien pour le mal. Rose est sortie sans m'apercevoir. N'est-elle pas entrée ici en venant de la prison ?
ILDEGARDE. - Oui, elle est venue ; et, après l'avoir entendue, je me suis demandé si cette héroïne était bien la fille d'un charbonnier. Aussi, je ne suis pas étonnée de ce que tu m'annonces. — Elle m'a fait trop de bien en sauvant mon fils, pour que je lui veuille du mal. Je vais au contraire profiter de l'occasion qui se présente de lui être utile, — va, ne parle à qui que ce soit de ta découverte. Je me charge d'en instruire moi-même ton père.
(Édouard se retourne et sort par la droite)
SCÈNE V
ILDEGARDE (seule). - Ainsi, Rose est une noble demoiselle. C'est pour se rapprocher de son père qu'elle a pris ce simple costume et ce pénible emploi !... C'est pour lui qu'elle préfère sa misérable position à tout !... Quel dévouement sublime !... Quelle générosité !... Et pendant qu'elle sauve notre enfant, nous tenons son père enchaîné !... Ah ! lorsque Cuneric saura tout, il reconnaîtra bientôt ses torts envers Édelbert et lui rendra la liberté et ses biens. C'est un devoir que la reconnaissance et l'humanité lui imposent.
(La toile se baisse.)
SEPTIÈME TABLEAU
(Comme le sixième, à l'exception du fauteuil d'Ildegarde qui n'est plus là.)
SCÈNE I
ÉDELBERT, CUNERIC.
(Ils sont en scène, le premier à droite.)
ÉDELBERT. - En me rendant la liberté et mes biens, vous venez, Cuneric, d'agir en digne chevalier, et de ce jour vous avez toute mon estime.
CUNERIC. - Je m'étais très mal conduit envers vous, mon cher Édelbert, votre généreuse demoiselle m'a tiré de l'erreur où j'étais à votre égard. Oui, c'est elle qui a décidé notre réconciliation, et c'est encore par elle que notre amitié peut devenir durable. Je vais vous expliquer ma pensée : je viens de découvrir qu'Édouard, mon fils aîné, n'a pu être insensible à l'attrait des vertus et à l'éclat des charmes de votre fille. Cette heureuse découverte me fait espérer de voir sans tarder, si vous y consentez, les armes de Fichtemberg réunies à celles de Tanebourg.
ÉDELBERT. - Je suis, seigneur Cuneric, touché de vos nobles procédés, et je m'estimerais heureux, sans doute, de resserrer ainsi nos liens d'amitié ; mais je ne saurais adhérer aux voeux de votre fils et aux vôtres avant de connaître les sentiments de ma fille.
CUNERIC. - Eh bien, mon cher Edelbert, veuillez vous en assurer. Je vois venir mademoiselle Rose fort à propos. Je vais alors me retirer ; vous pourrez librement vous entretenir de cette affaire (il se retourne et sortdu côté gauche tandis que Rose entre par le côté droit).
SCÈNE II
ROSE (en demoiselle), ÉDELBERT.
ÉDELBERT (il se retourne). - Ô ma fille ! tu viens de remporter une admirable victoire ; tu as fait plus que la force des armes qui pouvaient soumettre Cuneric, mais non changer sa haine contre moi en amitié.
ROSE. - Tant d'honneur ne m'appartient pas, mon père. Dieu n'a-t-il pas tout fait, et le petit oiseau qui vola vers le puits n'a-t-il pas eu autant de part que moi à cet événement heureux ?
ÉDELBERT. - J'approuve ta modestie. Mais, tu ne connais pas encore, ma fille, toutes les conséquences de ton acte de dévouement : Édouard, le fils de Cuneric, a remarqué tes excellentes qualités, tes vertus, ta beauté ; il a chargé son père de me faire la demande de ta main.
ROSE. - Je ne m'attendais pas à cette distinction honorable. Depuis que je suis dans ce château, je n'ai pas été sans apprécier, aussi les bonnes qualités d'Édouard ; c'est vous dire assez, mon père, combien je suis sensible à l'aveu de ses sentiments pour moi.
ÉDELBERT. - Et moi, je suis enchanté, ma fille, que cette alliance te soit agréable ; car elle ne pourra, je pense, qu'ajouter à ton bonheur. Cuneric attend ta réponse avec impatience, je vais de suite la lui porter (il se retourne et sort).
SCÈNE III
ROSE. - Ô mon Dieu, je vous remercie de toutes les grâces que vous voulez bien m'envoyer. — Hedvige vient à moi ; que me veut-elle ?... Elle est sans doute bien surprise de tous ces événements.