SCÈNE IV
ROSE, HEDVIGE (elle entre par la gauche).
HEDVIGE. - Ah ! Rose, est-ce bien toi ?... Ah !... je voulais dire ; mademoiselle Rose. Mon Dieu ! Que tout cela est extraordinaire !... Aurais-je jamais pu deviner, aussi, que not' servante fût une noble demoiselle de Tanebourg ? — Pardonnez-moi, je vous prie, les vilains mots que je vous ai dits si souvent. Ah ! bien sûr, si j'avais su, je me serais autrement comportée envers vous.
ROSE. - Je vous pardonne de tout mon cœur, ma chère Hedvige, mais à condition que vous écouterez les avis que je vais vous donner : je rends justice à vos bonnes qualités ; car vous êtes bonne ménagère, infatigable au travail, économe ; vous êtes même serviable et prévenante... tant que rien ne vous contrarie ; mais lorsque vous ne vous possédez plus, vous faites le tourment de tout ce qui vous entoure et de vous-même. C'est à ces colères que vous devez votre réputation de méchanceté car l'on dit, à tort, mais enfin l'on dit et l'on croit que vous êtes tout à fait dépourvue de bon sens, parce que vous dites et faites, étant en colère, des choses que la raison ne peut approuver.
HEDVIGE. - Je vous promets bien, ma chère demoiselle, que cela ne m'arrivera plus.
ROSE. - Travaillez à vous corriger, et ne vous découragez pis si vous ne réussissez pas d'abord : on n'abat pas, vous le savez, un vieil arbre du premier coup de cognée. Mais ce n'est pas tout ce que j'avais à vous dire ; écoutez-moi encore un instant : il ne suffit pas de dompter votre humeur, il faut aussi être indulgente. Lorsque vous aurez une nouvelle servante qui vous montrera de la bonne volonté, n'exigez pas dès le premier jour qu'elle sache tout avec autant de précision et d'habileté que vous-même. Donnez-vous la peine de la former telle que vous la désirez. Ayez la patience de lui montrer sa besogne plusieurs fois. Reprenez-la avec douceur, et peu à peu elle s'instruira dans son service ; elle s'y habituera ; elle se fera à vos manières et à vos vues. Enfin vous en serez chérie et respectée. — Je ne vous aurais pas dit tout cela si je vous estimais moins, ma chère Hedvige ; l'intérêt que je vous porte m'a dicté ces conseils. Retenez-les, suivez-les ; et vous m'en remercierez un jour.
HEDVIGE. - Je vous en remercie dès aujourd'hui, mademoiselle, et je vous assure que je vais faire tous mes efforts pour profiter de vos sages remontrances.
ROSE. - Quel sujet vous amenait vers moi ?
HEDVIGE. - On m'a dit que vous deviez nous quitter pour retourner à Tanebourg ; je venais pour vous faire mes adieux et vous dire mon chagrin de vous voir ainsi vous éloigner de nous.
ROSE. - Je vous remercie de cette attention, ma chère Hedvige. Nous irons effectivement à Tanebourg; mais ne vous chagrinez pas de mon départ. Je dois me marier dans ce château et y demeurer toujours avec vous... ainsi, sans cesser d'être votre amie, je deviendrai votre maîtresse : cela vous plaît-il ?
HEDVIGE. - Ah ! que vous me faites plaisir de me dire cela. C'est sans doute avec monsieur Édouard qui est bien le meilleur homme du monde. Je vous en félicite, ma chère demoiselle, de tout mon cœur.
ROSE. - Retournez maintenant à vos occupations ; car je vois venir madame la baronne avec laquelle j'ai à m'entretenir.
(Hedvige se retourne et sort par la gauche, La baronne entre par la gauche.)
SCÈNE V
ILDEGARDE, ROSE.
ILDEGARDE. - Venez, ma chère enfant, on n'attend plus que vous pour la fête qui se prépare. — Venez ; mon Édouard vous attend avec impatience, pour vous dire tout son bonheur, et vous saurez de moi-même aussi combien je suis heureuse de vous compter au nombre de mes enfants et de pouvoir vous aimer comme eux.
ROSE. - Je suis touchée, madame, de ces témoignages de votre amitié pour moi. Croyez aussi, je vous prie, a toute ma tendresse et au bonheur que j'éprouve de m'attacher à vous pour toujours.
ILDEGARDE. - Le bon Burkar et sa femme Gertrude, que nous avons fait prévenir, nous attendent aussi et seront de la fête (elles se retournent et sortent toutes deux par la gauche).
(On voit passer la noce qui vient par la gauche. Rose et Édouard sont portés en triomphe ; ils sortent par la droite.)
FIN