Je ne règne pas : je divise
Et pour toute pollution
Cherchant l'ombre, j'ai pour devise :
Stérilité, discrétion.
Je suis blond mes yeux d'émeraudes, Hypnotisent les névrosés. J'apprends la science des fraudes Aux maîtresses des épuisés. J'ai la souplesse des couleuvres, Je sais le pouvoir des parfums, Et par de secrètes manœuvres Ressusciter les sens défunts. Et j'ai le martinet qui cingle Pour les gagas, triste troupeau, Et le supplice de l'épingle Cruelle qui porte à la peau. Je suis le Dieu des morphinées En quête de frissons nouveaux, Je suis le Dieu des raffinées Dont je détraque les cerveaux. Très vieux malgré mes vingt années, Usé, blasé, car je suis né Sur un lit de roses fanées Et je suis un Éros vanné ! TREIZIÈME TABLEAU
LES LESBIENNES
Un champ d'orchidées qui lentement ondulent, tandis qu'au-dessus des fleurs passent, enlacées comme les amants de Dante, dans un ciel changeant, vert, bleu, rose, des femmes voluptueuses et nues.
LE RÉCITANT
Adolphe a voulu aimer ; il a voulu aimer; Adolphe ; mais il n'a pas trouvé de femmes, sentimentalement, du moins... ou si peu. Et dans le Cycle de l'amour, les poètes rencontrent les Lesbiennes.
Ils arrivent dans un camp d'orchidées bizarres, inquiétantes, qui dressent vers le ciel leurs étamines exagérées.
Et au-dessus des hautes fleurs que le vent de leur vol fait onduler comme des vagues, passent, vont, viennent, tourbillonnent, valsent, virent, voltent, enlacées pour éternellement les femmes qui se livrent entre elles à de blâmables tribadouillages, comme dirait monsieur Bergerat, s'il était Alsacien.
Or elles passent enlacées dans le ciel vieux rose, les amantes de Jadis et celles de Déjà, et c'est mademoiselle de Maupin et la Fille aux yeux d'or.
Et aussi Petite-Secousse et Bougie-Rose.
Et encore Jo et Zo et Lo..., et Ro et Fo et No, pourquoi pas ?
(Terminus nomme au passage quelques créatures de ce temps :) Duchesse d'A..., marquise de B..., comtesse de C..., baronne de D..., car il y a des grandes dames ; il y a même des têtes couronnées, ces amours étant réputées rares, littéraires et aristocratiques.
Il est vrai de dire qu'il y a aussi des demoiselles du Moulin Rouge et des piqueuses de bottines ; mais peu importe, elles n'y regardent pas de si près.
Or, en des couples innombrables, elles passent, enlacées, vertigineuses, et le vent de leur tourbillon fait onduler comme des vagues les hautes orchidées.
QUATORZIÈME TABLEAU
LA FÂCHEUSE ANDROGYNE
Une galerie bordée de statues, parmi lesquelles la Sappho de Pradier, la Vénus de Milo, la Diane de Falguière et aussi une Cléopâtre.
LE RÉCITANT
Et toujours dans le cycle de l'Amour, ayant tourné leur pied à gauche, Terminus et Voltaire arrivent sous une galerie bordée de statues...
C'est Sappho, c'est Vénus , c'est Diane, c'est Cléopâtre, c'est d'autres encore qu'on ne voit pas...
Ils se croient dans un musée et s’apprêtent à regarder, sans toucher, lorsqu'ils voient venir une femme suivie d'un long lévrier
- N'est-ce pas Jenny Levrière ? Demande spirituellement Voltaire.
- Non, lui dit son compagnon : c'est la fâcheuse Androgyne. Et en effet c'est bien l'a fâcheuse Androgyne avec son petit chapeau, son petit col, sa cravate anglaise, sa chemise d'homme, sa jaquette tailleur et sa robe fourreau forme parapluie. Elle arrive en fredonnant d'un air dégagé son refrain favori, un refrain du bon vieux temps que chantaient nos pères :
(Air de la Périchole).
Les femmes, les femmes, il n'y a qu' ça Tant que le monde existera, Tant que la terre tournera, Les femmes il n'y aura qu' ça. À présent la fâcheuse Androgyne joue la difficulté. Elle est lasse des maîtresses en chair et en os auxquelles elle ne trouvait sans doute pas assez de consistance, et nouvelle Pygmalionne, mais Pygmalionne pauvre, elle essaye d'animer les marbres.
Elle s'approche de Vénus et lui fait une troublante déclaration. Mais, au moment qu'elle se croit exaucée et que, selon les conseils de monsieur Legouvé le père, elle va tomber aux pieds de ce sexe auquel elle doit sa mère, c'est Hercule qui lui répond et qui lui dit : « Ô monstre malfaisant, retiens en ta mémoire, Pour en tirer profit, cette petite histoire : « Je n'avais pas encor, je crois bien, dix-huit ans, Et je n'étais qu'un jeune arbre dans son printemps. Quand je fus mandé chez le vieux roi de Thespies, Dont l'âge grand faisait les forces assoupies, Afin d'aller combattre un terrible lion Qui dévorait tous les troupeaux d'Amphytrion. Or ce puissant monarque avait cinquante filles, Cinquante, tu m'entends, et ma foi fort gentilles Et comme je dormais chez mon hôte, une nuit, Elles vinrent me trouver dans mon lit, sans bruit, Toutes à tour de rôle, amoureuses et nues, Et moi je les ai l'une après l'autre, connues. » « Oh ! oh ! fait Voltaire ». La fâcheuse Androgyne recule épouvantée ; mais elle ne se tient pas pour battue ; elle n'en est pasà un échec près.
Elle passe rapidement devant la Diane dont la reproduction est interdite, et elle adresse à Cléopâtre une troublante déclaration, la même, car elle n'en a qu'une, son cerveau étant peu compliqué ; mais au moment où elle va s'agenouiller devant la reine d'Égypte, le taureau qui posséda Pasiphaé se dresse debout devant elle, les cornes en l'air.
Cette fois, la fâcheuse Androgyne s'avoue vaincue ; elle se sauve éperdue. Voltaire et Terminus sont très contents. C'est la revanche de la Nature. Ils aperçoivent le moment où pourront devenir pères ils trouvent que ce n'est pas dommage. QUINZIÈME TABLEAU
LA MESSE NOIRE
Les ruines d'un temple. Sous les arcades sombres s'agite un peuple de Sataniques, en un sabbat étrange : de grands feux brûlent devant lesquels on rôtit des petits enfants ; des démons grimacent derrière les piliers. Musique étrange... Fifres, timbales. L'orchestre déchaîné sort de ses gongs.
LE RÉCITANT Et toujours dans le cycle de l'amour, ayant tourné leur pied à droite cette fois pour changer, Voltaire et Terminus arrivent sous les arceaux d'un temple délabré et sinistre.
Là s'agitent, se cherchent, se poursuivent, se faisant des cours brutales, des femmes échevelées et des hommes ivres : ce sont les sataniques, possédés par un effrayant démon de luxure.
Ils se plaisent, comme feu Dolmancé, dont vous avez tous lu l'histoire, du moins j'aime à le croire, à joindre le sacrilège à la volupté... C'est très vilain.
Tous ces gens-là se nourrissent exclusivement d'hosties trempées dans le sang des amants incestueux ou adultères tout au moins... On n'a pas idée de ça.
Assis sur une grosse pierre en guise d'autel, le chanoine Docre, horrible, grimaçant, préside à des scènes orgiaques qui ont pour but de parodier les cérémonies de la Sainte Messe, d'où le nom de Messe noire donné à ces sortes d’exercices.
Tout à coup une jeune fille, presque vierge encore, frappe sur un gong. (Coup de gong). C'est le signal : les horreurs vont commencer. (Soudain, le tableau s'obscurcit et devient impénétrable). - Mais je ne vois rien ! fait observer timidement Voltaire. - Naturellement, lui répond judicieusement Terminus, puisque c'est la Messe noire. - En ce cas, dit Voltaire avec quelque regret, ce n'était vraiment pas la peine de nous mettre ainsi l'eau à la bouche, en quelque sorte.
SEIZIÈME TABLEAU
LES ORIGINES D'UNE FORTUNE
La scène s'éclaire peu à peu, et le décor représente les rives du Nil... Le fleuve coule lentement entre les rives basses plantées de hauts palmiers. Une théorie d'esclaves vient puiser de l'eau au fleuve et s'éloigne en chantant.
LE RÉCITANT Adolphe n'a' pas pu aimer... Il n'a pas pu aimer. Adolphe, et ne pouvant vivre de la vie idéale et sentimentale, il a voulu vivre de la vie pratique : il a donc essayé de faire des affaires. qui sont, comme on le sait, l'argent des autres.
Malheureusement, c'est lui qui était les autres.
Il a toujours été roulé par des gens d'une autre esthétique que la sienne ; il s'est cogné à la Banque cosmopolite, qui rafle les épargnes, sème le deuil et les désastres et, refusant du décrétant les emprunts, règle là destinée des peuples.
Alors Voltaire demande à Terminus quelle fut l'origine de cette fortune toujours croissante et si néfaste.
Et Terminus évoque un passage de l'histoire de l'antique Égypte, aux temps où les Israélites étaient en captivité. Il dit :
« C'était des jours de deuil et des temps ténébreux :
Alors les rois d'Égypte opprimaient les Hébreux,
Les faisant travailler aux briques, à l'argile, Pour bâtir des palais à leur gloire fragile. Mais ils multipliaient quand même, ces Hébreux, Si bien que prenant peur de les voit trop nombreux, Le Pharaon manda qu'en toutes leurs familles On tuât les garçons, ne gardant que les filles, Et que cet ordre fût à la lettre suivi. Or une femme de la tribu de Lévi Mit au monde un enfant beau comme la lumière, Et voulant sauver ses jours menacés, la mère Le cachant quelque temps, puits au bout de trois mois Enduisit un panier de bitume et de poix S'en fut aux bords du Nil, et, pâle sous l'épreuve, Confia son enfant à la bonté du fleuve. La corbeille, suivant le vert courant des eaux, Un matin s'arrêta parmi de longs roseaux. L'enfant dormait, tandis qu'au long des rives calmes Des palmiers lui versaient la langueur de leurs palmes. Or, la fille du Pharaon, ce matin-là, Afin de se baigner au fleuve s'en alla.