57.
Vous jugez de sa gaîté,
Voyant le roi culbuté
Sans que d'aucune blessure
Semble souffrir l'animal.
« Tout cela finira mal,
Pense Lustucru ; je jure
Par mon bonnet de coton
Qu'il mourra sous mon bâton. »
58.
Pourtant, contre sa vengeance
Sachant le chat protégé,
Lustucru, découragé,
Reconnaît son impuissance,
Et court prendre son chapeau
Pour s'aller jeter à l'eau.
59.
À peine dehors, il frôle
Un fort vilain petit drôle
Qu'une vieille sermonnait
Et du geste menaçait.
60.
Justement la femme quitte
Le polisson, qui, bien vite,
Grimpe d'un air triomphant
Sur une borne. L'enfant,
En ce haut poste, examine
L'habitation voisine.
61.
« Que fais-tu là, mon garçon ?
Dit Lustucru. — Moi ? Je pense,
En voyant cette maison,
Qu'on y doit en abondance
Avoir à boire, à manger ;
Cela me fait enrager.
— Tu veux entrer là ? — Sans doute.
— Alors, mon petit, écoute ! »
Du maître d'hôtel l'espoir
Renaissait. Il croyait voir
Dans le gamin un compère,
Pour l'aider à se défaire
De son mortel ennemi.
« Quel est ton nom ? — Faribole.
— C'est bon ! Crois à ma parole,
Viens. Dans un mois et demi
Rentre la propriétaire
De l'hôtel La Grenouillère ;
D'ici là je t'apprendrai
Le service et te rendrai
Fort savant dans la cuisine.
Viens, j'aime beaucoup ta mine ! »
62.
Par de légers accidents
L'apprentissage commence,
Et l'on voit s'orner de dents
Les assiettes de faïence.
63.
Par bonheur l'enfant plaisait
À Moumouth : il s'amusait
À lui faire des caresses.
Lustucru s'en réjouissait ;
Pour lui cela compensait
Les plus grandes maladresses.
Or un jour il dévoila
Ses projets, et les voilà :
64.
« Je veux, dit-il, Faribole,
Exterminer ce chat hideux dont on raffole.
Il t'aime, il te suivra ; il faut, dès ce matin,
L'attirer au fond du jardin,
Puis le mettre en un sac : tu le feras sans peine ;
Et j'ai préparé deux bâtons
Avec lesquels nous frapperons
Jusqu'à ce que la mort survienne. »
65.
À cet ordre inattendu,
L'enfant demeure éperdu ;
Puis retrouvant son courage :
« Je ne puis d'un tel ouvrage
Me charger. — Fort bien ! Alors,
Reprends tes haillons et sors. »
66.
Le jeune homme en sa détresse
Vainement pense toucher
Ce cœur plus dur qu'un rocher.
Se riant de sa faiblesse,
Le tyran ne dit mot, hors :
« Reprends tes haillons et sors ! »
67.
Sous l'empire de la crainte
Faribole est abattu ;
Il sent faiblir sa vertu,
Et, cédant à la contrainte,
Il consent à partager
Le crime. Dans le verger
Voyez la bête qu'on porte.
Bientôt elle sera morte !
68.
En effet, ses assassins
S'armaient d'énormes gourdins,
Quand un bruit se fait entendre,
Et Lustucru croit comprendre
Que Madame est de retour.
Ordonnant à son complice
D'achever le sacrifice
Vite il vole dans la cour.
69.
Madame de Grenouillère
Baise avec effusion
La fidèle chambrière,
Gardienne de l'objet de son affection.
70.
Pendant ce temps Faribole,
Assis au fond du jardin,
Martyrise la corolle
D'une fleur qu'il tient en main.
Quand vient son maître il assure
Avoir à notre chat donné la sépulture.
Mais, en réalité, par un arrêt plus doux,
Moumouth avait été vendu pour quinze sous.