THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SOPHIE. - Maman, voici une estampe qui me rappelle une pièce des Ombres Chinoises, dont vous parlez c'est un petit, garçon auquel un maître d'école donne des férules.


LA MAMAN. - Vous savez qu'il les avait bien méritées. Comment ! ce petit polisson ne savait pas compter jusqu'à cinquante-deux.


HENRI. - Oh ! c'est vrai. Au lieu de dire : quarante-deux et dix font cinquante-deux ; il a eu la sottise de soutenir que cela faisait quarante-douze. Comme j'ai ri de cette balourdise !

CHARLES. - Ah ! cela ne méritait pas des férules comme il en a reçu sur le bout des doigts ; et si j'avais un maître aussi sévère, je sais bien ce que je ferais.

LA MAMAN. - Comment ! ce que vous feriez ? Est-ce que vous ne souffririez pas les punitions que l'ignorance et la paresse vous auraient attirées ? Je me flatte, mon ami, que vous n'imiteriez pas la conduite de ce petit mauvais sujet, qui, après avoir été corrigé, s'est mis à injurier son maître. C'est en travaillant que l'on parvient à se faire aimer de ceux qui sont chargés de notre éducation et les maîtres rendent un grand service aux enfants qui négligent leurs devoirs, en les punissant. Si j'avais été la maman de ce petit garçon, et que j'eusse appris la manière dont il s'était comporté à l'école, je l'y aurais ramené moi-même, et je l'aurais châtié devant celui qu'il aurait eu la hardiesse d'insulter.

SOPHIE. - Je blâme moi-même la conduite du petit garçon; mais peut-être aussi y a-t-il un peu de la faute du maître, qui n'a pas su se faire respecter dans le principe, et qui a donné à ses écoliers une liberté dont ils ont abusé. C'est en se montrant juste et sévère qu'on en impose au premier âge de l'enfance ; mais il est des écoliers tellement gâtés par leurs parents, que les maîtres, n'osent pas même les réprimander ; et ils sont obligés ensuite pour en venir à bout, de recourir aux plus grands moyens de rigueur : et c'est ce qu'ils devraient éviter.

HENRI. - Moi, j'admire la patience de ce maître d'école, qui n'a pas couru après lui ; tout le monde l'eût applaudi, car il est honteux qu'un enfant de dix à douze ans ignore les premières règles de l'arithmétique.

LA MAMAN. - Voilà qui est sagement raisonné ; c'est en pensant de la sorte qu'on se soustrait aux punitions ; et l'on fait fort bien, car il est très dur de recevoir des férules.

HENRI. - Une fois j'en ai reçu une, pour avoir, manqué d'étudier ma leçon ; mais je me promets bien de la savoir désormais par cœur.

LA MAMAN. - C'est très bien ! Mes enfants, vous allez répéter votre grammaire, et nous reviendrons ensuite à la cinquième figure.

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DIALOGUE IV

L'âne et son maître

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CHARLES. - Voici l'âne entêté qui ne veut pas marcher, et que son maître est obligé de porter sur son dos. Oh ! J'ai déjà entendu parler de l’opiniâtreté des ânes, et surtout de celle des mulets et des mules. Je ne conçois pas comment on peut employer des montures aussi peu dociles.

LA MAMAN. - Vous avez tort, mon fils : l'âne est un animal domestique très utile à l'homme ; il supporte de grandes fatigues, il est très sobre, et coûte par conséquent fort peu à son maître. Ce que vous prenez pour de l'entêtement, est peut-être un trait de son instinct qui l'emporte quelquefois sur la raison de l'homme. On a vu souvent de ces mules dont vous parlez refuser de passer dans des chemins, parce qu'il y avait, à le parcourir, un danger, dont le conducteur même ne s'apercevait point ; et si l'âne fait quelquefois tant de difficulté pour aller à l'abreuvoir, c'est qu'il n'a pas besoin de se désaltérer. Cet animal, abandonné toute sa vie à la grossièreté des valets, ou à la malice des enfants, mène une existence malheureuse ; il est le jouet, le plastron des rustres qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchargent, l'excèdent sans précaution et sans ménagement; cependant l'âne est le mieux bâti des animaux après le cheval ; et parce qu'il est le second des quadrupèdes, il semble n'être rien, ce qui est une injustice criante. Son nom, devenu ignoble, est l'emblème de la bêtise, parce que son extrême résignation, sa douceur et sa persévérance dans le travail, passent pour l'effet d'une stupide insensibilité ; cependant on devrait le citer comme un modèle de sobriété , qui s'impose une continuelle abstinence.

SOPHIE. - Je ne puis jamais voir maltraiter une bourrique sans en être affligée, depuis que ma grand' maman a été guérie d'une maladie très sérieuse avec du lait d'ânesse.

HENRI. - J'ai bien ri l'autre jour, moi, en voyant l'âne d'un jardinier, chargé de pommes, se rouler sur la poussière malgré ses mannequins, et répandre par conséquent les fruits qu'il portait sur le chemin.

LA MAMAN. - Vous avez eu raison, car cela ne lui serait pas arrivé, si son maître avait eu soin, tous les jours,de lui donner de bonne litière, et de le panser. La négligence dans laquelle il l'a constamment tenu est la cause des démangeaisons qu'il éprouve, et auxquelles il ne peut résister : il est donc oblige, pour les calmer, de se rouler sur la terre.

CHARLES. - Mais maman, comment se peut-il faire que ce paysan puisse porter son âne ? Il me semble cependant que cet animal est très pesant.

SOPHIE. - C'est qu'aux Ombres Chinoises on pourrait faire porter à un homme un dromadaire, si on le voulait, puisqu'un éléphant n'y pèse pas la sixième partie d'une once ; mais il est très peu de personnes en état de charger un âne sur leurs épaules ; et quand même elles pourraient le faire, cet animal ne serait pas d'humeur à le souffrir.

HENRI. - Je viens d'apercevoir la chasse aux canards, allons-nous en parler aujourd'hui, maman ?

LA MAMAN. - Non, non ; il nous faut maintenant apprendre notre leçon de mythologie : vous savez que votre maître vient ce soir. Dans un autre instant nous reviendrons au théâtre de Séraphin.

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DIALOGUE V

La chasse aux canards

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LA MAMAN. - Voilà cette fameuse chasse aux canards, que Charles était si curieux de voir hier ; on peut dire en effet que c'est le chef-d’œuvre des Ombres Chinoises. Tous les ressorts de l'art se sont ici réunis pour charmer les yeux ; c'est un bateau qui navigue, un homme qui manie l'aviron ; un autre qui tire un coup de fusil, enfin un canard qui est frappé du plomb meurtrier, et qui tombe mort aux pieds du chasseur, puis deux autres qui s'échappent en nageant.

SOPHIE. - Ensuite, maman, ces voix que l'on entend, et qui disent : - Moi, je veux qu'on fasse cuire le canard à la broche - je veux qu'on le mette en daube avec des oignons. Je suis persuadée que tout cela doit beaucoup occuper l'esprit de ces petits enfants que je vois amener en robe au théâtre de Séraphin, et qui à peine savent parler. Je me rappelle, moi, qu'au sortir de nourrice, ma bonne me mena aux Ombres Chinoises, et que de retour à la maison , je ne savais que dire en moi-même de ces hommes si petits et qui ont une si grosse voix.

LA MAMAN. - Vous avez raison ; car si la perspective peut nous faire croire que ces chasseurs sont assez éloignés de nous pour nous paraître aussi petits, leurs voix devraient à peine se faire entendre ; c'est une impuissance dont l'art ne peut pas triompher ! Ces chasseurs font bien tout ce qu'ils peuvent pour imiter une conversation qui se tient dans le lointain, mais ils n'atteignent pas entièrement leur but ; ils ne pourraient y parvenir qu'en parlant dans des instruments à vent préparés à cet effet. C'est ainsi qu'avec un cor auquel on a appliqué une sourdine, on obtient des sons qui paraissent provenir d'une très grande distance.

CHARLES. - Maman, j'ai eu bien peur du coup de fusil qu'un de ces hommes a tiré ; est-ce qu'il était vraiment chargé avec de la poudre et du plomb ?

LA MAMAN. - Non, parce que cela serait dangereux, et ne mènerait à rien, puisque le canard tombe au moyen d'un fil qui le tient suspendu : pour en imposer aux regards, on brûle seulement une petite amorce ; mais le coup que vous avez entendu provient de la détonation d'un pétard, que l'on fait partir dans la coulisse.

HENRI. - Maman, est-ce sur de l'eau qu'on voit voguer le bateau que cet homme conduit avec un aviron ?

LA MAMAN. - Non, mon fils ; ce qui vous semble de l'eau est imité par une toile peinte, et le batelet est tiré sur le théâtre par des moyens mécaniques : ce qui fait croire qu'il obéit aux manœuvres du batelier.

CHARLES. - Ces paysans-là sont bien heureux d'avoir tué un aussi beau canard, et de le manger à leur souper. Je veux absolument que papa m'achète un fusil ; nous irons à la chasse avec mon frère, et tous les jours nous vous rapporterons du gibier.

LA MAMAN. - Vous êtes trop jeune, mon fils, pour vous livrer aux plaisirs de la chasse ; il ne faut pas qu'un enfant de votre âge manie un fusil ; c'est une arme trop périlleuse, et elle vous serait bientôt funeste.

SOPHIE. - Je trouve en effet que les parents qui accoutument les enfants à manier des fusils, des baïonnettes, des sabres, des épées, ont très grand tort ; parce qu'ils prennent du goût pour des armes dont ils ignorent le danger. C'est à cela que mon frère de lait doit la perte d'un œil ; un jour viendra qu'il en sera inconsolable.

CHARLES. - Eh bien ! en ce cas, je ne veux plus que maman m'achète le sabre que je lui demandais ; je préfère maintenant une petite bourse : j'y mettrai l'argent que me donne mon papa, et je ferai de temps en temps l'aumône à cette pauvre femme que nous rencontrons toujours en allant aux Tuileries, et qui chante avec un voile.

HENRI. - Et moi, je vendrai mon fusil pour acheter des souliers à son petit garçon.

LA MAMAN. - C'est bien penser, mes enfants ; allons, nous devions passer la soirée ici, mais je vous mènerai à la promenade : demain nous parlerons du Pont cassé.

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DIALOGUE VI

Le Pont cassé

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HENRI. - Maman, vous nous avez promis hier de nous entretenir du Pont cassé ; nous tiendrez-vous parole ?

CHARLES. - Oh ! oui, ma bonne maman, car il n'y a pas de pièce aux Ombres Chinoises qui me fasse plus déplaisir que celle-là.

LA MAMAN. - Et qu'y trouvez-vous donc de plus amusant qu'aux autres ?

CHARLES. - C'est de voir comment ce petit garçon attrape, par ses réponses, ce monsieur qui l'accable de questions.

LA MAMAN. - Mais je ne vois pas ce qu'il y a de beau dans les insolences qui sortent de la bouche de ce petit drôle ! Comment ! un étranger lui demande l'heure qu'il est, et il a l'impudence de lui tourner le dos et de lui dire, en montrant son derrière, voilà le cadran solaire : ceci est de la dernière grossièreté.

SOPHIE. - Et puis, ce monsieur qui paraît très pressé, et qui, ne voyant pas de batelier, veut se hasarder de passer le gué à pied, et le questionne pour savoir si la rivière a beaucoup de profondeur ; et l'impertinent a la méchanceté de lui dire, en chantant, les canards font bien passée ; mais je ne vois rien de plus désobligeant que cela.

HENRI. - Il faut convenir aussi que cet homme n'avait pas besoin de pousser la curiosité jusqu'à lui demander le nom de son père.

LA MAMAN. - Ce n'est nullement par esprit de curiosité, que cet étranger lui fait cette question ; c'était seulement pour parvenir à connaître ses parents, et à se plaindre à eux de la conduite de leur enfant ; et si celui-ci, au lieu de plaisanter comme il l'a fait, eût répondu avec franchise, il en eût été quitte pour une semonce de son père ou de sa mère.
 

 
 



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