THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SOPHIE. - Vous allez voir.
(Air : Toujours debout, toujours en route).
À Beaune, où j'ai mon domicile,
Depuis longtemps j'étais tranquille,
L
orsque je relus dans mon cœur
Que je brûlais pour votre fille ;
Qu'à m'unir à votre famille
Je trouverais un grand honneur.
Pour accélérer ce bonheur,
Hier, je me suis mis en route,
Et quoique beaucoup il m'en coûte,
Je m'éloigne de mon pays,
Pour venir vous joindre à Paris
Où j'espère arriver dimanche,
Monté sur mon ânesse blanche.
Nous passons le contrat lundi,
Je suis votre gendre mardi,
Mercredi, tout le jour on danse,
Et l'Amour règle la cadence ;
Nous faisons nos malles jeudi,
Je vais payer, vendredi,
Deux places à la diligence ;
En vain Colombine balance,
Je l'emmène le samedi,
Vous, à ce trait étourdi,
Plein d'une tendre inquiétude,
En maudissant ma promptitude,
Vous dites : allez, je bénis
Gilles, Colombine et leurs fils.
Votre discours nous porte à l'âme ;
Mais je m'éloigne avec ma femme,
J'arrive à Beaune, en mon pays,
D'où, beau-père, je vous écris.
                                                               
GILLES.
Eh bien !

LA MAMAN. - Tu m'as surprise, Sophie.

CHARLES. - Moi aussi, je me rappelle aussi un couplet que Colombine chante dans la même pièce, lorsqu'elle vient embrasser Cassandre. Le voici :
(Air : Jeunes amants, cueillez des fleurs)
À mon réveil, auprès de vous,
Par mon cœur je suis amenée ;
Puis-je jouir d'un sort plus doux
Et mieux commencer la journée ?
J'accours, par un soin assidu,
Pour vous embrasser la première
Et rendre hommage à la vertu,
En rendant hommage à mon père.

HENRI. - Moi, j'ai retenu aussi une chanson, mais je ne la chanterai que lorsque nous parlerons de la Descente d'Orphée aux Enfers.

SOPHIE. - Vous nous avez promis quelque chose pour terminer cette récréation.

LA MAMAN. - C’est vrai. Je me suis engagée à vous raconter une ou deux arlequinade, et comme je suis contente de vous, je vais vous les dire.

SOPHIE. - Nous vous écoutons, ma bonne maman.

LA MAMAN. - Gilles, pour obtenir la main de Colombine, et jouer un tour à son rival Ar1equin, parie cinquante écus avec ce dernier qu’Arlequin ne pourra pas rester vingt-quatre heures chez lui sans sortir, et pendant qu'il demeure enfermé pour gagner l’argent de Gilles, celui-ci va trouver Cassandre, père de sa prétendue et fait tous ses efforts pour engager le vieillard à lui donner sa ?lle. Au bout de vingt-quatre heures, Arlequin veut sortir, mais Gilles, usant de supercherie, a, par précaution, enfermé le pauvre Arlequin, qui ne sait comment échapper au piège qui lui est tendu alors Colombine, qui devine la ruse de Gilles, envoie à Arlequin un gros pâté, dans lequel est une échelle de corde, au moyen de laquelle le prisonnier s'évade, et court chez Cassandre où il rencontre Gilles qui perd alors tout espoir d'obtenir Colombine, et se voit forcé de donner à son rival les cinquante écus qu'il a gagnés, et avec lesquels Arlequin paye son repas de noces.

SOPHIE. - Ce méchant Gille a bien mérité ce qui lui est arrivé.

HENRI. - Aussi, Arlequin s'est amusé à ses dépens.

CHARLES. - Maman, vous nous avez promis une autre histoire.


LA MAMAN. - Arlequin, tambour d'un régiment, revient de l'armée, il rencontre Gilles, qui l'engage à jouer et lui gagne frauduleusement son argent, qu'il rapportait pour décider Cassandre, qui l'avait d'abord trouvé trop pauvre, à lui donner la main de Colombine.
     
Gilles, charmé de cette aventure, court en faire part à Colombine, mais il a la sottise d'avouer qu'il a usé de supercherie en jouant avec Arlequin. Ce dernier entend cet aveu. Gilles montre à Cassandre l'or dont il est possesseur ; ce père avare est prêt à donner son consentement pour le mariage de Gilles et de sa fille, mais dans le fond du théâtre, est Arlequin qui songe à se venger. Colombine s'entend avec lui ; elle dit à Gilles qu'il lui faut des habits et des meubles pour son ménage. Gilles lui présente sa bourse où est l'argent volé à Arlequin ; celle-ci la prend et la rend à son véritable maître, en disant que c'est lui qu'elle épousera.
     
Cassandre, instruit de ce qui s'est passé, éconduit Gilles, et Arlequin devient son gendre.

CHARLES. - Le voici encore attrapé.

SOPHIE. - Maman, savez-vous encore quelques contes semblables ?

LA MAMAN. - C'est assez pour aujourd'hui, mes enfants. Demain, nous nous occuperons des Ombres Chinoises ; il faut varier nos récréations.

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DIALOGUE IX

Le Bûcheron

LA MAMAN. - Je suis convenue avec vous, mes enfants, de vous entretenir ce soir des Ombres Chinoises, et je vais tenir ma promesse. Vous rappelez-vous ce que représente cette figure ?

HENRI. - Oui, maman ; c'est un bûcheron qui est tombé en voulant couper une branche d'arbre.

CHARLES. - On voit encore la branche qu'il tient dans sa main.

SOPHIE. - Tu as raison, mon frère, et on s'aperçoit, à la mine que fait cet homme en tombant, qu'il a peur de mourir de sa chute.

LA MAMAN. - Il a bien raison d'être effrayé, car l'endroit où il était placé était très élevé.

HENRI. - Encore c'est qu'il va tomber sur la tête : cela me fait frémir.

CHARLES. - Et sa serpe donc, qui va peut-être lui couper le bras, car il la tient encore.

SOPHIE. - Mais il ne faut pas perdre de vue que ceci n'est qu'une fiction.

LA MAMAN. - Oui, mais cette fiction n'en a pas moins un but : elle prouve qu'il y a des gens dont l'esprit est extrêmement borné ; que cet homme a fait une très grande faute de raisonnement, en appuyant son échelle sur une branche d'arbre qu'il voulait couper ; et quoiqu'une balourdise de cette espèce puisse ne pas paraître croyable, il est certain qu'on a vu dans tous les temps et dans tous les pays, des hommes qui ont fait preuve d'une assez grande stupidité pour qu'on les soupçonne capables de tomber dans de semblables sottises.


HENRI. - Maman, la gravure suivante nous fait voir la femme de ce malheureux bûcheron, qui vient à son secours. Bon Dieu ! Comme il paraît souffrir. Elle aura bien de la peine à le rappeler à la vie.

SOPHIE. - Mais souviens-toi donc, mon frère, qu'au théâtre, on le transporte chez lui, et que là un médecin vient lui administrer des secours.

CHARLES. - C'est vrai ; on panses ses blessures : mais malheureusement sa femme laisse à sa porter un broc de vin, et la première chose qu'il fait après le pansement, c'est de l'avaler tout entier, en feignant de croire que c'est de la tisane.


LA MAMAN. - Voilà encore ce qui prouve la stupidité de cet homme, car il doit bien savoir qu'après une chute comme celle qu'il vient de faire, il ne faut pas s'enflammer le sang par l'abus de vin, lorsqu'il est agité surtout par la douleur que doit causer un accident aussi grave. Les ouvriers croient, en général, qu'ils sont sauvés dans leurs maladies, s'ils peuvent se procurer cette boisson : c'est leur remède universel, mais ils se trompent grossièrement ; il y a très peu d'indispositions où l'usage de cette liqueur puisse être salutaire ; et c'est un grand service à rendre aux gens du peuple, que de les désabuser de cette erreur.

CHARLES. - Il me semble, maman, pour en revenir à la chute de ce bûcheron, que, si j'étais chargé de tailler ou d'émonder des arbres, et qu'il me fallût employer pour cela une échelle, ce que je ne croyais pas nécessaire parce que j'ai vu faire cette opération sur les boulevards, par des hommes qui se contentaient de gravir, j'aurais soin d'assujettir mon échelle avec des cordes, au tronc de l'arbre, ou à quelque forte branche, de sorte que si celle que je couperais me faisait courir le risque d'être entraîné avec elle, l'échelle me retiendrait.

LA MAMAN. - Vous auriez raison, mais les ouvriers sont tous imprudents : ils ne voient le danger que quand le mal est arrivé. Une foule d'artisans périssent faute de précautions, dans les différentes professions qu'ils exercent, telles que celles de charpentier, de maçon, de couvreur. Combien n'a-t-on pas vu aussi de charretiers estropiés pour avoir tombé de leurs voitures, soit dans l'état d'ivresse, soit dans celui du sommeil ; l'exemple de leurs camarades tués de cette manière ne les corrige pas.
     
Mes bons amis, songeons à la leçon de mythologie ; demain nous seront plus en état de discourir sur Orphée aux enfers, qui fait le sujet de la figure suivante.

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DIALOGUE X

Orphée aux enfers

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HENRI. - Je reconnais la scène d'Orphée telle que je l'ai vue aux Ombres Chinoises. Voilà bien le mari d'Eurydice qui veut charmer avec le son de sa vielle, Cerbère, auquel la garde des enfers est confiée.

SOPHIE. - Mais j'ai vu dans la Fable qu'Orphée avait une lyre et non une vielle.

LA MAMAN. - Vous avez raison : la vielle est un instrument moderne qui était absolument inconnu en Grèce, où la fable d'Orphée a pris naissance, et ce n'est que par une espèce de parodie qu'on l'a introduite sur le théâtre des Ombres Chinoises. Orphée n'a jamais eu qu'une lyre ou un luth dont il jouait si bien que, suivant la mythologie, les arbres et les rochers le suivaient, et que les vents se taisaient pour l'entendre.

CHARLES. - Mais, maman, puisqu'Eurydice était la femme d'Orphée, pourquoi n'a-t-on pas mis dans la bouche de ce célèbre musicien cette fameuse complainte, que j'ai entendu quelquefois chanter, au lieu de dire : Rendez-moi ma petite femme, monsieur, rendez-moi ma petite femme.

HENRI. - C'eût été plus touchant. Je crois que je m'en souviens ; je vais la chanter.
J'ai perdu mon Eurydice ;
Rien n'égale mon malheur ;
Sort cruel, quelle rigueur !
Eurydice ! Eurydice !
Réponds ! quel supplice !
Réponds-moi,
C'est ton époux fidèle ;
Entends ma voix
Qui t'appelle. (bis)
J'ai perdu, etc.


Mortel silence !
Vaine espérance !
Quelle souffrance !
Quel tourment
Déchire mon cœur !
J'ai perdu, etc.

SOPHIE. - Mais, mon frère, comme il s'agit ici d'amuser les enfants, on n'a pas voulu employer un air aussi plaintif. Tu te rappelles bien comme ils sont contents lorsque les diables de l'enfer crient au malheureux Orphée qu'ils ne lui rendront pas sa femme, et qu'ils lui disent en chantant :
Tu n'auras pas, petit polisson,
Ton petit cœur, ton petit tendron.

CHARLES. - Qu'avait-il donc fait, ce pauvre musicien pour être si maltraité ?

 

 
 



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