THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LA MAMAN. - Comment ! Vous avez déjà oublié, mon fils, ce que je vous ai fait lire dans la mythologie. Pluton avait mis pour condition, en rendant à Orphée sa femme, qu'il ne regarderait pas derrière lui, jusqu'à ce qu'il fût sorti des enfers. Le malheureux Orphée, piqué du démon de la curiosité, n'a pu s'empêcher de tourner la tête, pour savoir si Eurydice le suivait : et aussitôt les diables sont accourus pour la lui reprendre.

SOPHIE. - Voilà ce que c'est que la curiosité ; c'est un vilain défaut. Je ne puis supporter les gens qui ont cette maudite passion.

LA MAMAN. - Il est vrai qu'elle porte presque toujours avec elle sa punition ; nous en avons un exemple bien terrible dans l'Histoire Sacrée. Vous savez ce que je veux dire, ma bonne amie ?

SOPHIE. - Oh ! Oui, maman, vous voulez me parler de la femme de Loth, qui fut changée en statue de sel pour avoir regardé derrière elle, contre la défense des deux Anges auxquels elle avait donné l'hospitalité, et qui l'avaient sauvée de Sodome avec ses deux filles, un instant avant l'embrasement.

LA MAMAN. - Ma fille, je suis ravie de vous voir une si bonne mémoire, et de trouver que vous fassiez un si bon profit des leçons qu'on vous donne. Demain, Charles et Henri, qui n'ont pas beaucoup parlé aujourd'hui, nous expliqueront la gravure du Magicien.

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DIALOGUE XI

Le magicien Rothomago
 

HENRI. - Voici le célèbre magicien Rothomago, qui, après beaucoup de sortilèges de sa façon, donne des ordre pour qu'il paraisse une jeune fille qui lui peigne sa barbe.

CHARLES. - Mais, auparavant, elle lui apporte un miroir.

HENRI. - C'est juste, et aussitôt qu'elle a eu fait ce que le magicien lui a commandé, celui-ci, courroucé de ce qu'elle l'avait trouvé laid, l'a sur le champ enfermée dans une cage entourée de vautours.

CHARLES. - Maman, qu'est ce que c'est qu'un magicien ?

LA MAMAN. - Charles, il n'y a pas de magiciens : ce sont des êtres chimériques, créés par l'imagination des hommes, pour effrayer les badauds. Qui dit magie, dit pouvoir surnaturel, ou faculté de faire des prodiges ; or il n'appartient qu'à la Divinité d'enfanter des miracles, mais la sorcellerie est une grande ressource pour les théâtres de toute espèce.

SOPHIE. - Oh ! Oui, maman, car sans elle et la mythologie, nous n'aurions pas d'opéra. Les balles ne sont eux-mêmes que la représentation d'une foule de prodiges, opérés par des êtres imaginaires, tels que des faunes, des sylvains, des gnomes, des zéphyrs, des nymphes, des amours, et enfin les habitants d' l'Olympe, qui n'existent nulle part, et qui ont sans doute été enfantés par la superstitieuse crédulité des anciens.

CHARLES. - Mais s'il n'y a pas de magiciens, comment Rothomago peut-il donc faire paraître et disparaître, à son gré, tout ce qui se présente devant lui ?

LA MAMAN. - C'est que Rothomago a des personnes obligeantes, sous l'avant-scène du théâtre et dans les coulisses, qui, avec le secours de machine très bien imaginées, introduisent et emmènent à leur gré les personnages sur lesquels ce magicien vous paraît avoir tant d'empire.

HENRI. - Ah ! J'entends cela : c'est par ces mêmes moyens que ce géant se décompose et tombe pièce par pièce.

LA MAMAN. - Sans doute.

CHARLES. - C'est donc de cette manière aussi, que la pyramide, qui me semblait s'élever et disparaître au commandement de Rothomago, subit plusieurs changement ?

LA MAMAN. - Oui, mon fils ; mais laissons monsieur Rothomago et ses prodiges, pour copier les exemples que vous a donnés votre maître d'écriture. Demain, nous parlerons de la Place Maubert.

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DIALOGUE XII

La Place Maubert
 

LA MAMAN. - Henri, qu'est-ce que cette gravure ?

HENRI. - Eh ! Maman, je sais parfaitement ce que c'est : cette gravure me rappelle ce que nous voyons tous les jours en allant à la pension : c'est la Place Maubert. Voilà la fontaine et la boutique du savetier dont il est question dans la pièce que l'on joue au théâtre de Séraphin.

CHARLES. - Ah ! Je me rappelle aussi cette comédie. En voilà le sujet : si je ne me trompe, c'est un homme à qui l'on demande sa fille en mariage ; il répond qu'il n'a rien à lui donner, et puis... Ma foi, je ne me souviens pas du reste.

SOPHIE. - Comment ! Tu ne te rappelles pas qu'un instant après, il passe un petit bonhomme qui vend des listes de numéros sortis à la loterie, que le cordonnier en achète une, et qu'aussitôt, il voit qu'il a gagné un terne
(une série de trois numéros) .

HENRI. - C'est vrai, et puis cela lui donne le moyen de doter sa fille : c'est pourquoi on voit passer les gens de la noce conduits par un violon.

CHARLES. - La mariée et son mari ouvrent la marche, et les conviés les suivent ; ils ont tous de beaux bouquets. Ce savetier a vraiment eu du bonheur de gagner ainsi à la loterie ! Oh bien ! Moi, je vais économiser pour y mettre tous les jours.

LA MAMAN. - Mon ami ! Vous auriez tort ; il est excusable à un pauvre malheureux de tenter parfois la fortune ; mais vous, qui ne manquez de rien, vous n'avez rien à donner au hasard : c'est en travaillant, en vous instruisant, que vous parviendrez à accroître votre aisance. Un enfant qui se fait un devoir de répondre à l'éducation qu'on lui donne, qui profite des soins que l'on prend pour l'instruire, ne se trouve jamais dans le cas de chercher son bonheur dans les chances du sort ; il le trouve dans lui-même. Le mérite est une source inépuisable de richesses ; et, quoiqu'on en puisse dire, des talents solides ne laissent jamais un homme dépourvu. Voyez vos deux oncles : l'un est architecte, l'autre est médecin ; et tous deux ont voiture. Votre cousin Alexis est destiné à la profession d'avocat, et s'il continue à se distinguer comme il le fait dans ses classes, il fera l'honneur du barreau, et vous le verrez un jour dans l'opulence. Son frère aîné, au contraire, qui ne rêve que jeu et loterie, sera quelque jour à charge à sa famille, s'il ne change de conduite. Mais laissons-là la morale, et dites-moi, Henri, lequel aimez-vous mieux des Marionnettes ou des Ombres Chinoises de Séraphin ?

HENRI. - Maman, j'aime mieux les Ombres Chinoises.

LA MAMAN. - Quelle en est la raison ?

HENRI. - C'est qu'aux marionnettes, on voit les fils qui font mouvoir tous ces personnages de bois, tandis qu'aux Ombres Chinoises, ils échappent à la vue.

SOPHIE. - Henri pense comme un homme raisonnable ; il est vrai que, dans le dernier cas, l'illusion est plus complète.

LA MAMAN. - Demain, donc, nous passerons aux gravures qui représentent encore des Ombres Chinoises.

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DIALOGUE XIII

La poule plumée
 

LA MAMAN. - Comme j'ai été très contente de votre écriture, mes enfants, je vais assister à votre récréation, et vous expliquer la gravure que vous voyez.

HENRI. - Oh ! Maman, je sais bien ce qu'elle représente : c'est une femme qui plume une poule, et un homme qui la regarde.

CHARLES. - C'est juste, l'homme qui est avec elle devait être régalé d'une bonne andouille ; mais pendant qu'il faisait un tour de jardin avec cette femme, le chat a mangé l'andouille, et la maîtresse du chat offre de le traiter avec une volaille.

SOPHIE. - La manière dont cette poule descend de l'échelle est vraiment étonnante : elle ne passe pas un échelon ; et je ne puis concevoir comment on peut ainsi rendre la nature.

HENRI. - Comment ! Ma sœur, est-ce que ce n'est pas une véritable poule ? Mais j'ai vu voler des plumes de ses ailes quand on la plumait, ainsi que l'indique la gravure.

SOPHIE. - Non, mon frère, c'est une imitation, mais si fidèle, qu'il est impossible de dire si c'est l’œil ou le jugement qui se trompe, lorsqu'on assure que ce n'est pas une poule naturelle.


 
 



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