THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LA MAMAN. - On la représente comme une jeune fille, jolie et spirituelle ; son costume être celui de toutes les personnes de son âge.

SOPHIE. - Je lui trouve un goût bien bizarre de préférer Arlequin à tout ; Colombine est jolie, Arlequin est laid à faire peur, il ressemble au petit négrillon que mon oncle a pris pour jockey et que je ne vois pas une fois sans frayeur.

LA MAMAN. - Sous cette ?gure noire, Arlequin cache une belle âme. Il est bon, sensible, son esprit et ses qualités valent mieux qu'un beau visage. Apprenez, mes enfants, que ce n’est jamais la beauté qu'on doit rechercher, mais cette amabilité, cette bonté qui nous rendent estimables et qui nous font chérir de tous ceux qui nous entourent.

HENRI. - Moi, j'aime beaucoup Arlequin.

CHARLES. - Quoique Gilles ne soit pas aussi laid, je 1'ai entendu mentir si souvent, je l’ai trouvé si imbécile, si poltron, que je n'ai jamais été de ses amis.

SOPHIE. - Et il n'aurait pas reçu cette volée de coups de canne dont j'ai vu et entendu régaler ses épaules.

CHARLES. - Oui, mais l'étranger aussi à bien fait de se retirer, car le petit garçon allait se venger !

SOPHIE. - Il était bien temps , après avoir eu les épaules frottées de la bonne manière. Voilà comme font tous les poltrons ; ils songent toujours à se venger des gens, quand ils les voient bien loin.

LA MAMAN. - Nous nous sommes assez occupés du Pont cassé ; repassons un peu la leçon de géographie que vous avez reçue de votre maître : demain, à la même heure, nous reviendrons aux marionnettes. J'ai beaucoup de choses à vous dire encore sur ces acteurs de bois.

 

DIALOGUE VII

Arlequin

 

HENRI. - Maman, vous nous avez promis de nous entretenir ce matin du théâtre de Séraphin ; je crois que vous avez oublié de nous parler de ce personnage dont le costume est composé de petits morceaux de draps de plusieurs couleurs, et dont le visage est noir comme celui d'un charbonnier.

SOPHIE. - C'est d'Arlequin, sans doute, que tu veux parler ?

LA MAMAN. - Il est juste, mes enfants, que vous fassiez connaissance avec ce bouffon toujours gracieux et souvent le plus spirituel personnage de la troupe de Séraphin. Arlequin a jadis été introduit sur nos grands théâtres pour divertir le peuple par ses plaisanteries ; il jouait alors le rôle principal dans toutes les pièces françaises qu'on représentait sur le Théâtre des Italiens.

CHARLES. Quoi ! maman, il y a des Arlequins ailleurs qu'aux Ombres Chinoises ?

LA MAMAN. - Oui, mon fils, on en voit encore quelquefois dans de petites pièces mêlées de couplets, qu'on appelle Vaudevilles.

HENRI. - Vous nous avez raconté, l'autre jour, l'histoire de Polichinelle ; pourriez-vous aujourd'hui nous apprendre celle d'Arlequin ?

LA MAMAN. - On prétend qu'il doit son origine aux anciens Mimes latins qui, comme lui, avaient la tête rasée et le visage couvert de suie, et qu'on nommait Planipèdes.

HENRI. - Qu'est-ce que c'est que des Mimes ?

LA MAMAN. - On donnait autrefois , chez les Romains» ce nom à une espèce de comédie où l'on imitait les actions et les discours d'un particulier ; aujourd'hui ce nom sert à désigner les acteurs qui jouent dans les pantomimes, ou, pour m'expliquer d'une manière plus claire, pour vous, dans des pièces où les personnages ne parlent pas.

SOPHIE. - Comme celle que j'ai vue au Cirque de Francony ?

LA MAMAN. - Précisément, l'ancien caractère d'Arlequin était seulement d'être balourd et gourmand, mais on lui a donné du bon sens, de la morale, et beaucoup de simplicité. Je terminerai cet entretien par quelques lazzis : on nomme ainsi le langage d'Arlequin, et vous verrez, mes enfants que ce bouffon au noir visage n'est pas le moins amusant de ceux qui composent la troupe du théâtre où vous aimez à passer vos soirées.

CHARLES. - Nous sommes impatients de vous entendre.

LA MAMAN. - Gilles est supposé venir sur le théâtre, cachant quelque chose sous son chapeau ; Arlequin lui demande que portes-tu ? - Un poignard, dit Gilles ; Arlequin cherche et voit que c'est une bouteille ; il la vide et la rend ensuite à Gilles en lui disant: Je te fais grâce du fourreau.

HENRI. - Gilles a dû être bien attrapé.

CHARLES. - Il avait fait un mensonge par avarice, sans doute, il ne voulait pas être obligé de partager son vin avec Arlequin. Arlequin l'a bu tout seul ; je trouve moi qu'il a bien fait.

LA MAMAN. - Arlequin se promenant un jour dans la rue, portait sous son bras une grosse pierre ; quelqu'un l'aborde et lui demande ce qu'il voulait en faire. Arlequin répondit : Rien, monsieur, cette pierre est l'échantillon d'une maison que je veux vendre. Gilles, rendant une visite à Arlequin, aperçut un fromage dans une bibliothèque. Prête-moi ce livre-là, lui dit-il. - Non, répond Arlequin, c'est un original ; et tu sais, mon bon ami, que les originaux ne sortent jamais des bibliothèques.

CHARLES. - Ce gourmand de Gilles fut encore puni.

LA MAMAN. - Un jour qu'il n'y avait presque personne au spectacle, Gilles s'avança d'Arlequin pour lui dire tout bas un secret ; Parlez haut, lui dit Arlequin, personne ne nous entend.
     
Arlequin, obligé de raconter la mort de son père, dit : Hélas ! dispensez-moi de faire ce récit. Le brave homme mourut du chagrin de se voir pendre.
     
Une bourgeoise prenait le titre de marquise, afin de passer pour une femme de qualité. Madame, lui dit Arlequin, prenez garde à ce que vous faites ; le sobriquet de marquise pourrait bien vous rester.
     
Un cavalier battait son cheval qui lui donnait des ruades et ne voulait pas avoir le dernier. Eh ! monsieur, dit Arlequin, montrez vous le plus sage.
     
Un conseiller borgne voulant décider seul une contestation fort épineuse, Arlequin lui dit : Croyez-moi, empruntez les lumières d'un de vos confrères. - Pourquoi cela ? reprit le conseiller. - Parce que deux yeux valent mieux qu'un.
     
Un homme dont le nez était fort camard, étant venu à éternuer en présence d'Arlequin, celui-ci le salua en disant : Dieu vous conserve la vue ! Celui qui venait d'éternuer, surpris de ce vœu, lui demanda pourquoi il le faisait. - Parce que, répondit le bouffon, votre nez n'est pas propre à porter des lunettes.
     
Vous connaissez assez maintenant, mes bons amis, le caractère d'Arlequin. Demain nous nous occuperons de sa famille, ou, pour mieux dire, des personnages qui le suivent ou le précèdent partout. Colombine, Gilles et Cassandre. Étudiez vos leçons ; soyez attentifs ; répondez aux soins que prennent vos maîtres de votre éducation et je vous récompenserai par une longue conversation sur les trois personnages que je viens de vous nommer.


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FIN DU TOME PREMIER
 


Théâtre de Séraphin ou Les ombres chinoises. Tome II

Flamand-Grétry, Louis-Victor

1816

domaine public

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DIALOGUE VIII
Cassandre, Gilles et Colombine

LA MAMAN. - Vous avez rempli vos devoirs avec exactitude ; vos maîtres m’ont témoigné leur satisfaction, et pour vous prouver la mienne, je vais vous dire quelques mots sur chacun des personnages qui vous restent à connaître dans la troupe illustre des marionnettes.

HENRI. - Voulez-vous commencer par Cassandre ?

SOPHIE. - Non, maman, Colombine doit avoir la préférence.

CHARLES. - Moi, je crois que c’est Gilles : ce personnage est bien plus divertissant que les autres, puisque c’est lui qui cherche à tromper Arlequin et Colombine, et qu’il est toujours leur dupe.

LA MAMAN. - Charles a raison ; mais pour vous mettre tous d’accord, je parlerai de tous trois en même temps ; il est presque inutile de les séparer, et quand vous les connaîtrez bien, je vous donnerai l’analyse d'une ou deux pièces où ils jouent chacun leur rôle. J’ai vu plusieurs arlequinades très plaisantes, et je me les rappelle assez pour vous les raconter.

CHARLES. - Oh ! oui, maman ! cela nous fera grand plaisir.

LA MAMAN - On représente toujours Cassandre en vieillard décrépit et ridicule ; il porte une perruque blanche, couverte d’un bonnet de soie noire, sur lequel il place encore un petit chapeau à trois cornes. Son costume favori est un habit de velours, une grande veste, une culotte de même étoffe que son habit, et des bas rouges. Ce barbon ne marche jamais sans une grande canne de jonc qui lui sert de soutien.

SOPHIE. - C’est bien bien ainsi que je l'ai vu aux Ombres Chinoises.

LA MAMAN. - Cassandre est, suivant l’intrigue des pièces dans lesquelles il joue, le père de Colombine ou son tuteur. Dans ce dernier emploi, il est presque toujours amoureux de sa pupille.

HENRI. - Maman, dites-moi pourquoi Cassandre joue ainsi deux rôles ?

MAMAN. - Parce que Cassandre n’étant pas un personnage historique, celui qui le place dans une pièce peut, selon son idée, en faire le père de Colombine, ou le ridicule prétendu dont Arlequin se moque.

SOPHIE. - Mais il se moque aussi de Gilles.

LA MAMAN. - Sans, doute ; Gilles est un sot qui ne peut lutter avec Arlequin. Je n'ai pas besoin de grands détails pour vous faire connaître ce Gilles ; son costume blanc, sa figure plâtrée vous suffiront pour ne jamais vous tromper.

CHARLES. - Avec son chapeau en pain de sucre, ses manches longues et sa grande collerette qui ne le reconnaîtrait pas ?

SOPHIE. - Maman, je n'ai rien vu de remarquable dans l’habillement de Colombine.

LA MAMAN. - On la représente comme une jeune fille, jolie et spirituelle ; son costume être celui de toutes les personnes de son âge.

SOPHIE. - Je lui trouve un goût bien bizarre de préférer Arlequin à tout ; Colombine est jolie, Arlequin est laid à faire peur, il ressemble au petit négrillon que mon oncle a pris pour jockey et que je ne vois pas une fois sans frayeur.

LA MAMAN. - Sous cette ?gure noire, Arlequin cache une belle âme. Il est bon, sensible, son esprit et ses qualités valent mieux qu'un beau visage. Apprenez, mes enfants, que ce n’est jamais la beauté qu'on doit rechercher, mais cette amabilité, cette bonté qui nous rendent estimables et qui nous font chérir de tous ceux qui nous entourent.

HENRI. - Moi, j'aime beaucoup Arlequin.

CHARLES. - Quoique Gilles ne soit pas aussi laid, je l'ai entendu mentir si souvent, je l’ai trouvé si imbécile, si poltron, que je n'ai jamais été de ses amis.

SOPHIE. - Je me rappelle une lettre que Gilles écrivait à Cassandre... Je ne sais plus le titre de la pièce. Te souviens-tu, Henri, d'avoir vu arriver Gilles sur un âne avec des joujoux dans ses poches ?...

HENRI. - Oui, c'est dans Cassandre Médecin.

SOPHIE. - Justement… je veux faire preuve de mémoire en répétant la lettre entière que Gilles avait envoyée à Cassandre en le prévenant de son arrivée ; tu te rappelles qu’il vient pour se marier avec Colombine.

CHARLES. - Quoi ! tu sais par cœur ce grand couplet !

SOPHIE. - Oui.

HENRI. - Tu ne pourras jamais le chanter sans te tromper.


LA MAMAN. - Je suis assez de cet avis.
 

 
 



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