Cocasko
MORGIANE. - Eh bien ! Cocasko, vient-il quelqu'un ?
Morgiane
COCASKO, avec crainte. - Pas encore... je ne vois personne.... c’est-à-dire : je n'entends personne... Ah ça ! mam’zelle Morgiane, dites-moi donc ce que tout cela signifie. Comment ! me faire lever si matin, me promener à l'entrée de cette forêt, et il ne fait pas encore jour ! Tout cela me tracasse... Tenez, je suis sûr qu'il y a un mystère... À propos, je me souviens que vous m'avez promis de me faire part d'un grand secret.
MORGIANE. - J'y songeais. Mais aussi il faut me promettre de n'en parler à personne...
COCASKO. - Oui, je vous le promets, à personne... bien sûr... foi de Cocasko.
MORGIANE. - À la bonne heure. Saadi, notre maîtresse, comme tu sais, a trouvé une pièce d'or sous la mesure qu'Ali Baba avait empruntée.
COCASKO. - Oui.
MORGIANE. - Eh bien ! c'était pour en mesurer un grand sac.
COCASKO. - Un grand sac d'or !... Morgue !
MORGIANE. - Oui, qu'il avait apporté de la Forêt Noire. Et lorsque Cassime en fut instruit, il voulut en rapporter aussi. Il est parti hier au soir et n’est pas encore de retour.
COCASKO. - Pas possible !
MORGIANE. - Notre maîtresse est au désespoir, et le pauvre Ali Baba est allé voir ce qu'il est devenu.
COCASKO, chagrin. - Pardine... il a couché dans la caverne.
MORGIANE. - Paix l... Voici notre maîtresse qui vient attendre le retour d'Ali Baba.
SCÈNE II.
Les précédents, Saadi.
Saadi
SAADI, un mouchoir à la main, la tête baissée et marchant à pas lents. - Vous n'avez pas encore vu mon frère ?
MORGIANE. - Non, madame, pas encore.
(0n entend courir).
COCASKO. - Voici quelqu'un qui s'avance.
MORGIANE. - C’est Ali Baba.
SCÈNE III.
Les précédents, Ali Baba arrivant mystérieusement.
ALI BABA. - Silence, mes amis. (À part). Que va-t-elle dire ?
SAADI. - Eh bien ! mon frère, quelle nouvelle m'apportez-vous ? Je ne vois rien sur votre visage qui doive me consoler.
ALI BABA. - Je ne puis rien vous dire qu'auparavant vous ne me promettiez de m'écouter depuis le commencement jusqu’à la fin, sans ouvrir la bouche ; il ne vous est pas moins important qu'à moi, dans ce qui est arrivé, de garder un grand secret pour votre bien et votre repos.
SAADI. - Ce préambule me fait connaître que mon mari n’est plus ; en même temps je connais la nécessité du secret que vous me demandez. Il faut bien que je me fasse violence : dites , je vous écoute.
(Ali Baba va voir dans le fond s'ils sont seuls).
ALI BABA. - En m'approchant du rocher, après n'avoir vu dans le chemin ni mon frère, ni ses mulets, je fus étonné du sang répandu que j'aperçus près de la grotte, j'en pris un mauvais augure. La porte s'étant ouverte à mon commandement, je fus frappé du triste spectacle du corps de mon frère mis en quatre quartiers.
(Saadi tombe évanouie dans les bras de Morgiane, puis se remet peu à peu.).
ALI BABA, continuant. - Je n'hésitai plus sur le parti que je devais prendre pour rendre les derniers devoirs à mon frère, en oubliant le peu d'amitié fraternelle qu'il avait pour moi ; je trouvai dans la grotte de quoi faire deux paquets des quatre quartiers, dont je chargeai mon âne.
MORGIANE ET COCASKO. - Ô ciel l quel malheur !...
(Saadi met son mouchoir sur ses yeux).
ALI BABA. - Voilà un sujet d’affliction pour vous, d'autant plus grand que vous vous y attendiez le moins. Quoique le mal soit sans remède, si quelque chose, néanmoins, est capable de vous consoler, je vous offre de joindre le peu de biens que Dieu m'a envoyé en vous prenant avec nous. Si la proposition vous agrée, il faut faire en sorte qu'il paraisse que Cassime est mort de sa mort naturelle; c’est un soin, il me semble, dont vous pouvez vous reposer sur Morgiane, car c’est une esclave adroite, entendue et féconde en inventions pour faire réussir les choses les plus difficiles, et j'y contribuerai, de mon côté, de tout ce qui fera en mon pouvoir.
SAADI, bas.. - En effet, quel meilleur parti puis-je prendre ? C’est, au contraire, un motif raisonnable de consolation. (Haut). Oui, mon frère, je suis très sensible à votre générosité, et je l'accepte.
ALI BABA. - Fort bien... Rentrons maintenant, car il serait imprudent que l'on nous aperçût tous, si matin, au bord de cette forêt... Et toi, Morgiane, tâche de bien t'acquitter de ton personnage.
MORGIANE. - Comptez sur moi.
(Ils sortent tous. Le jour paraît bien peu).
SCÈNE IV.
Belcour, sortant de sa boutique et faisant le tour du théâtre.
Belcour
BELCOUR. - Comme tout est calme l J'aime cette tranquillité... moi !... Que tu es heureux, Belcour, d'être seul de ce côté là. Tu n'es tourmenté par personne, ça vaut bien mieux... Je travaille tant que je veux... et je ne laisse pas d'avoir des pratiques et, je dis, une excellente réputation. Avec tout cela...
(Il chante).
Air : la Maison de Monsieur Vautour.
Je suis content, je suis joyeux
Dedans mon petit ermitage !
Jamais le chagrin, dans ces lieux.
N'y porta le plus p'tit ombrage.
Et j'entends dire, chaque jour,
Lorsque je suis devant ma porte:
La maison de monsieur Belcour
Est celle où vous voyez un' botte. (bis)
SCÈNE V.
Belcour, Morgiane.
MORGlANE. - Bonjour, bon père Belcour.
BELCOUR. - Bonjour, ma belle enfant; que me voulez- vous, si matin ?
MORGIANE. - Comme je sais que vous ouvrez votre boutique dès le matin, je viens vous proposer de l'ouvrage.
BELCOUR. - Tant mieux. De quoi s'agit-il ?
MORGIANE. - Prenez ce qui vous est nécessaire pour coudre, et venez avec moi promptement, car il est question d'un secret de la plus haute importance.
BELCOUR. - Oh l oh ! Voulez-vous me faire faire quelque chose contre ma conscience et mon honneur ?
MORGIANE. - Dieu m'en garde ; je n'exige rien de vous que vous ne puissiez faire en toute sûreté et en tout honneur. Venez, seulement, et ne craignez rien. Tenez...
(Elle lui donne de l'or).
BELCOUR, regardant dans sa main. - À la bonne heure !
(Il rentre dans sa boutique).
MORGIANE. - Maintenant je le tiens, et en lui donnant quelques pièces d'or je ferai de lui tout ce que je voudrai.
BELCOUR, sortant de sa boutique. - Allons, je vous suis.
MORGIANE. - Venez.
(Ils entrent dans la maison d’Ali Baba).