THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

ANTONIO. - Apprends donc un secret que depuis bien longtemps on avait tenu caché... J'avais huit ans, je jouissais encore du bonheur des tendresses maternelles, nous habitions alors une pauvre chaumière située à quelque distance de cette forêt, lorsqu’un soir, après souper, un bruit effrayant se fit entendre dans notre chaumière, et bientôt la porte fut ouverte par six hommes armés qui attachèrent mon père et ma mère, après les avoir forcés de leur donner la clef de l'argent... Hélas ! il n'y en avait pas beaucoup. À la vue de ces voleurs, je me suis caché sous la table, qui était près de la porte, je me suis glissé et suis allé demander du secours dehors. Ah ! Morgiane, je n'avais pas encore fait dix pas que toute la maison fut remplie de flammes... Que faire ?... que devenir ?... Plus de parents, plus d'asile !... Je fus forcé de passer le reste de la nuit dans la forêt, à pleurer jusqu’au lendemain matin. Le jour commençait à peine à paraître quand je vis venir dans le lointain deux hommes. C'étaient Ali Baba et Cassime. Ali Baba m'ayant aperçu et me voyant les larmes aux yeux, me montra à son frère qui daigna à peine me regarder. Ali Baba s'approcha de moi et me demanda le sujet de mon chagrin. Je lui fis le récit de mon malheur, il ne tarda pas à mêler ses larmes aux miennes, puis supplia son frère de me prendre sous sa protection. Cassime fut inflexible à ses prières. Tel qu'il puisse être, répondit le généreux Ali Baba, je ne suis pas aussi riche que vous, cet enfant ne manquera pas de pain. Venez, mon petit ami, me dit-il en me prenant par la main, venez avec moi, et, depuis ce moment, Ali Baba fut toujours mon père.

MORGIANE. - C'est bien digne de lui...

     (On entend frapper).

ANTONIO. - Voici quelqu'un.

MORGIANE. - Je vais ouvrir.

     (Elle sort par la droite du spectateur).
 

SCÈNE  III.

Ali Baba, Antonio.

 

ALI  BABA. - Antonio, n'a-t-on pas frappé ?

ANTONIO. - Oui, mon père, Morgiane est allée... La voici.

 

SCÈNE  IV.

Les précédents, Morgiane.

 

MORGIANE, accourant. - Un marchand d'huile voudrait vous parler.

 
ALI  BABA. - Eh ! Parbleu l fais-le entrer. (À part). Que me veut -il ?
 

SCÈNE  V.

Les précédents, le Capitaine, couvert simplement d'une blouse. 

 

LE CAPITAINE. - Pardon, brave homme, si je viens vous interrompre, mais j'amène de bien loin l'huile que vous voyez... pour la vendre demain matin au marché, et, à l'heure qu'il est, je ne sais où aller loger. Si cela ne vous incommode point, faites-moi le plaisir de me recevoir chez vous pour y passer la nuit, je vous en aurai obligation.

ALI BABA. - Avec plaisir, soyez le bienvenu.

LE  CAPITAINE, à part. - Il y consent; quel bonheur !

MORGlANE, à part. - Cet homme-là n'a pas un maintien ordinaire.

ALI BABA. - Morgiane, conduis monsieur dans ma chambre et prépare- lui tout ce dont il aura besoin.

     (Morgiane sort).

LE  CAPITAINE, - Je vais vous causer bien de l'embarras,

ALI  BABA. - Du tout, c’est un plaisir pour moi quand je peux rendre service.

LE  CAPITAINE. - Enseignez-moi, je vous prie, l'endroit où je pourrai mettre mes mulets.

ALI BABA. - Mes esclaves les arrangeront, soyez sans inquiétude ; on aura soin de leur donner ce qu'il leur faut.

LE  CAPITAINE. - Je n'en doute pas, mais je ne veux pas abuser de votre complaisance.

ALI  BABA. - Allons donc ! Vous plaisantez, je crois...

LE  CAPITAINE. - Croyez-moi, vous m'obligerez.

ALI BABA. - Puisque vous le voulez, mon esclave vous y conduira.

 

SCÈNE  VI.

Il fait presque nuit.

Les précédents, Morgiane.

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MORGIANE. - Quand monsieur voudra, il est servi.

ALI  BABA. - Morgiane, va montrer l'écurie à monsieur.


LE  CAPITAINE, à Ali Baba que se dispose à s'en aller. - Au revoir, brave homme.

ALI  BABA. - Je vous souhaite une bonne nuit. (Il sort).

 

SCÈNE  VII.

Les précédents, excepté Ali Baba.

 

LE  CAPITAINE, bas. - Je ne t'en souhaite pas une seconde.

ANTONIO, qui a entendu, à part. - Je te surveillerai, toi.

     (Morgiane et le capitaine sortent).

 

SCÈNE  VIII.

Antonio et Cocasko.

 

Antonio tourne le dos à Cocasko ; il paraît plongé dans une profonde réflexion.

 

COCASKO. - Eh bien ! que dites-vous de cela, monsieur Antonio ? Voilà que l'on prend votre papa pour un aubergiste.

ANTONIO, sans entendre Cocasko. - Que peut être cet homme ?


COCASKO. - À quoi réfléchit-il donc ?

ANTONIO, de même. - Que prétend-il faire ? Il est seul, et il a menacé mon père.

COCASKO. - Son air inquiet... me... m'inquiète aussi... moi.. Est-ce qu'il rêve ?

ANTONIO. - L'air avec lequel il a prononcé ces paroles : « Je ne t'en souhaite pas une seconde », ça me fait croire qu'il ne peut être qu'un coquin, car mon père n'a jamais fait de mal à personne ; et c’est injustement que cet homme attente à sa vie. Ô monstre !

     (Il recule sur Cocasko).

COCASKO. - Moi, un monstre ? C’est un peu fort, ça ! Est-ce que vous êtes fou ?

ANTONIO, continuant. - Ne prétends point réussir dans ton dessein criminel.

COCASKO, criant fort. - Je vous dis que je n'ai pas de dessein...

ANTONIO. - Veux-tu te taire, bavard... J'entends du bruit... Tiens, laisse-moi seul.

COCASKO. - Ah ! oui, j'aime mieux ça, moi. (Il sort).

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SCÈNE  IX.

Antonio, seul un instant.
 

ANTONIO. - Le voici qui s'approche, cachons-nous de écoutons.

 

SCÈNE  X.

Antonio derrière une coulisse ; le capitaine.

 

LE CAPITAINE, arrivant mystérieusement. - Je crains cette maudite esclave ; il me semble qu'elle a des soupçons.

ANTONIO, paraissant un peu. - Et moi aussi.

LE CAPITAINE. - J'avais de la peine à m'en débarrasser. Elle n’est pas du tout maladroite, elle voulait à toute force mettre mes mulets à l'écurie ; ce que j'étais bien loin de lui accorder. Enfin, elle m'a fait le plaisir de s'en aller. Quant à l'homme qui a eu la hardiesse de nous enlever les quatre quartiers du cadavre...

ANTONIO, se montrant. - Qu'entends-je ?

LE CAPITAINE. - Il est à croire que c’est le maître ; n'importe, ce ne peut être que quelqu'un de la maison, et pour qu'il ne puisse pas m'échapper, je vais, par le moyen d'un baril de poudre, faire sauter tout le monde. Tous mes camarades cachés dans les tonneaux, la douzième heure de la nuit pour signal... Tout est bien disposé, allons nous coucher jusqu’à ce temps.

(Il entre dans le vieux logis).

 

SCÈNE  XI.

Antonio, sortant de sa cachette.

 

ANTONIO. - Oh ! grand Dieu ! n'est-ce pas un songe ? ai-je bien entendu ?... « À minuit, dit-il, je ferai fauter la maison... » Ô mon père !... Ô mes dignes bienfaiteurs !... Quel horrible complot ! ... Quelqu'un vient... C’est toi, Morgiane ?

 

SCENE  XII.

Antonio, Morgiane.

 

MORGIANE. - Paix !

ANTONIO. - Nous sommes perdus !...


MORGIANE. - Pas encore.

ANTONIO. - Le marchand d'huile n'est qu'un coquin.

MORGIANE. - Je le sais.

ANTONIO. - Les barils contiennent sa suite.

MORGIANE. - C’est vrai.

ANTONIO. - Ils mettront le feu à la maison.

MORGIANE. - Ils ne pourront pas.

ANTONIO. - Ah ! si tu savais...

MORGIANE. - Je sais tout.
 

 
 



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