SCÈNE VI.
Le Capitaine, Casbourg, Pied-de-bœuf, suite.
LE CAPITAINE. - Arrêtons-nous ici, nous sommes à l'entrée de la ville... Personne ne nous écoute ?
(Tous les voleurs vont regarder de tous côtés).
CASBOURG. - Non, capitaine.
PIED-DE-BŒUF, à part. - À moins qu'il y ait encore de l'écho.
LE CAPITAINE, à voix basse, à Casbourg. - Maintenant, il faut que l'un de vous tâche de me trouver la maison de l'homme assez courageux pour avoir eu la hardiesse d'entrer dans notre caverne et d'y enlever celui que nous avions si bien partagé.
PIED-DE-BŒUF. - C'est pis que le diable, un homme en quatre qui est parvenu à se sauver.
CASBOURG. - Comment voulez-vous qu'on trouve ?...
LE CAPITAINE. - Rien n'est plus aisé. On fait parler un peu l'un, un peu l'autre, et vous verrez bien s'il est question de mort, car il n'y a pas de doute que le bruit va se répandre partout, et d'ailleurs, ai-je encore besoin de vous enseigner des ruses ?... Je vous préviens que je donne cent ducats à celui qui me rapportera des renseignements certains. Voyons, lequel de vous...
CASBOURG et PIED-DE-BŒUF. - Moi.
PIED-DE-BŒUF, à part. - Cent ducats, c’est bien joli.
LE CAPITAINE. - Je n'en avais demandé qu'un seul... mais, par réflexion, il vaut mieux qu'il y en ait deux.
PIED-DE-BŒUF. - Oh ! oui, ça vaut mieux, parce que toi, tu ne pouvais pas trouver au moins, moi...
CASBOURG. - Eh bien, toi ?
PIED-DE-BŒUF. - C’est immanquable.
CASBOURG. - C’est ce que nous verrons.
LE CAPITAINE. - Cette ardeur me plaît. Rappelez-vous que je donne cent ducats.
PIED-DE-BŒUF. - Soyez tranquille, je ne l'oublierai pas.
CASBOURG. - Je le crois. Ah ça, distribuons les portes.
PIED-DE-BŒUF. - Tenez, sans façon, moi, je reste ici ; je ne sais quelle inspiration secrète me dit que c’est le bon endroit. Toi, grand seigneur, la gloire te suffit, mais moi, pauvre diable, j'ai besoin de la prime. Oui, j'avoue que les cent ducats me tentent furieusement.
LE CAPITAINE. - Soit, tu peux rester ici... Toi, Casbourg, tu t'enfonceras davantage dans la ville.
CASBOURG, au capitaine. - À propos, j'oubliais. À quoi vous servira de savoir la demeure de cet homme ?
LE CAPITAINE. - Peux-tu me le demander ? Pense donc que cet homme-là peut seul nous perdre tous en nous dénonçant, et je veux lui en ôter la possibilité.
PIED-DE-BŒUF, à part. - Pardine !... C’est tout simple...
CASBOURG. - Et comment comptez-vous vous y prendre pour ne pas donner de soupçons ?
LE CAPITAINE. - Voici mon plan. Ce soir, si vous l'avez trouvé, nous irons tous et je serai déguisé en marchand d'huile, avec notre grande voiture dans laquelle il y aura de grands barils qui seront censés contenir de l'huile.
CASBOURG. - Je devine le reste ; nous en tiendrons la place, n'est-ce pas ?
LE CAPITAINE. - Tu l'as dit, et, en cas de besoin, il n'y aura qu'un baril où il y aura de l'huile.
PIED-DE-BŒUF. - Jolie commission ! Et qu'irez-vous faire chez cet homme ?
LE CAPITAINE. - J'irai lui demander à loger. Dites que mon plan n’est pas bien conçu ?
CASBOURG. - Bonne ruse, capitaine. C’est la nuit que nous l’exécuterons ?
LE CAPITAINE. - Sans doute.
CASBOURG. - Séparons-nous, le temps s'écoule et le jour commence à croître. (En s'éloignant, à Pied-de-Bœuf). Bonne chance !
PIED-DE-BOEUF. - Merci. À toi la gloire et à moi l'argent !
(Le capitaine s'enfonce dans la forêt et Casbourg dans la ville).
SCÈNE VII.
Pied-de-Bœuf, seul.
PIED-DE-BŒUF. - Oui, ça tente, cent ducats. Je ne sais pas trop par qui je vais commencer. (On voit Belcour sortir de la maison d'Ali baba). Ah ! voilà bien un homme qui sort de cette maison, il vient de mon côté ; écoutons-le... cachons-nous....
SCÈNE VIII.
Le jour paraît davantage.
Pied-de-Bœuf, caché, Belcour.
BELCOUR. - Voilà un bon commencement de journée, six pièces d'or ! mais, aussi, j'avoue que je n'ai fait de ma vie un pareil ouvrage, coudre un homme !
PIED-DE-BOEUF, se montrant un peu. - (À part). Un homme, dit-il ; écoutons.
BELCOUR. - Qui peut avoir commis un tel crime ?
PIED-DE-BŒUF. - Il est instruit.
BELCOUR. - Peu m'importe, je suis payé en conséquence, que ce soit le diable si ça veut.
(Il entre dans sa boutique).
PIED-DE-BŒUF, sortant de sa cachette. - Fort bien ; le voilà rentré, feignons de n'avoir rien entendu et tâchons, en le questionnant, d'en savoir davantage. Mais mon costume n’est pas très avantageux, j'ai un peu l'air d'un coquin.... Mais heureusement qu'il ne fait pas encore jour. (Il s'approche de la croisée). Bonjour, brave homme, vous commencez à travailler de bon matin ; il n’est pas possible que vous y voyiez encore clair, âgé comme vous l'êtes, et quand il ferait plus clair, je doute que vous ayez d'assez bons yeux pour coudre.
BELCOUR. - Qui que vous soyez, il faut que vous ne me connaissiez pas ; si vieux que vous me voyez, je ne laisse pas d'avoir d'excellents yeux, et vous n'en douterez pas quand vous saurez que je viens de coudre un mort dans un lieu où il ne faisait pas plus clair qu'il ne fait présentement.
PIED-DE-BŒUF, à part. - Plus de doute, c’est cela. (Haut). Un mort, dites-vous ? Et pourquoi coudre un mort ? Vous voulez dire apparemment que vous avez cousu le linceul dans lequel il a été enseveli ?
BELCOUR. - Non, non, je sais ce que je veux dire.
PIED-DE-BŒUF, à part. - Et moi, aussi.
BELCOUR. - Vous voudriez me faire parler, mais vous n'en saurez pas davantage.
PIED-DE-BŒUF, à part. - Je n'ai pas besoin d'un éclaircissement plus ample pour être persuadé que j'ai découvert ce que je cherchais. (Haut). Je n'ai garde de vouloir entrer dans votre secret, quoique je puisse vous assurer que je ne divulguerai point ce vous me l'aviez confié. (À part). Ah, merveille ! C’est moi, j'en suis sûr, qui ai trouvé la maison le premier : allons en faire part au capitaine, et recevoir en même temps le prix de mon adresse. (Haut). Brave homme, je vous salue.
(La toile tombe).
ACTE IV
Le théâtre représente le fond de la cour d'Ali Baba, dont le fond est terminé par un mur ; à la droite du spectateur est la maison ; elle avance un peu sur le théâtre ; pour empêcher au public de distinguer ce qu'il peut y avoir dans le fond, du même côté, où est censé être la porte d'entrée et l'écurie ; à gauche, est un vieux logis.
SCÈNE PREMIÈRE.
Il fait encore jour.
MORGIANE, seule. - Me voici donc enfin dans l'habitation et au service du bon Ali Baba, et j'avoue que je l'aime mieux que monsieur Cassime ; il avait un air dur et sournois, enfin il me faisait toujours peur chaque fois qu'il me regardait... Ah ! voici Antonio.
SCÈNE II.
Morgiane, Antonio.
Antonio
ANTONIO. - Bonsoir, petite Morgiane.
MORGIANE. - Bonsoir, Antonio.
ANTONIO. - Qu'as-tu donc, Morgiane ? Faut-il, à cause de la perte de ton maître, me priver de ton amitié ?
MORGIANE. - Méchant !
ANTONIO. - En effet, depuis ce moment, votre tristesse se répand sur tout le monde.
MORGIANE. - Peux-tu me railler aussi cruellement ?
ANTONIO. - Tu connais bien peu mon cœur.
MORGIANE. - Tu juges bien mal le mien.
ANTONIO. - La mort de Cassime ne devrait pourtant pas te causer du chagrin, d'après ce que tu m'en as dit. Avoue que tu ne l'aimais pas beaucoup... n'est-ce pas ?
MORGIANE. - Tu m'as devinée... Mais, si je ne me trompe, cet événement n'a pas l'air non plus de beaucoup vous affliger... Il était votre oncle, cependant.
ANTONIO. - Si l'on veut.
MORGIANE. - Comment ?
ANTONIO. - Oui, Morgiane, Ali Baba est mon père, mais Cassime, je ne l'ai jamais regardé comme mon oncle ; tu sais, d'ailleurs, le peu d'amitié qu'il me faisait ; ce n'était qu'un méchant homme, ses yeux exprimaient toujours le contraire de ce qu'il disait.
MORGIANE. - Que voulez-vous dire ?
ANTONIO. - Tu sais qu'Ali Baba n'a pas toujours été mon père.
MORGIANE. - Vous m'étonnez !...
(La nuit vient).